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Sargasse, les impacts sur les populations de bord de mer

TEMOIGNAGES

A Frégate Est 2 au François, la colère monte

Le quartier Frégate Est 2 au François, qui est situé juste en face des îlets,  est l’un des plus impactés par le fléau, car il se trouve en fond de baie, là où les algues viennent s’agglutiner. Ses riverains constitués en collectif se démènent depuis plusieurs années pour alerter les autorités de l’ampleur du phénomène sur leurs rives. Pétitions, courriers, communiqués de presse, études d’impacts, ils attirent l’attention sur les conséquences des émanations du gaz H2S sur leur santé à court et long termes. Plusieurs personnes vivant dans l’odeur pestilentielle quasi permanente du H2S ont déclenché des crises d’asthme, des BPCO, des conjonctivites, des maux de têtes, des nausées, des vertiges, des dépressions…Plusieurs petits animaux domestiques comme les chats et les petits chiens sont morts de façon inexpliquée ces derniers mois… Tous ont eu à remplacer leur matériel électroménager et informatique, tous ont eu à repeindre et à nettoyer sans cesse leur maison et leur matériel… C’est l’endroit où les taux les plus élevés d’émanation du gaz ont été relevés par Madinin’Air. Ce quartier peuplé par une population très mixte, retraités, familles, pêcheurs, au bord de la crise de nerf, s’est senti abandonné par les autorités jusqu’à ce jeudi 24 mai où les pelles mécaniques et les camions ont enfin pu commencer à déblayer les monceaux d’algues accumulées. En effet, après l’annonce du plan d’urgence par le préfet, début mai, il a été décidé avec l’accord des habitants de créer une bande passante sur le bord de mer pour que les engins puissent accéder au rivage.

Thomas Gérard est le riverain de ce quartier qui mène la lutte anti-sargasse depuis le début:

« Depuis le mois de décembre nous sommes confrontés à un échouage massif d’algues sargasses dans notre quartier en bord de mer. Nous avons donc demandé un rendez-vous à Monsieur le Maire que nous avons obtenu au bout d’un mois et demi. Nous lui avons demandé de faire quelque chose. Il nous a répondu que c’était difficile…Mais nous avons fait des propositions : Pourquoi ne pas installer des filets dérivants pour éviter les échouages, pourquoi ne pas mener des actions organisées autour du ramassage… On a fait remarquer que pour notre quartier, la première action à mener était de nettoyer la sortie du marigot qui se jette dans la baie, car en cas de pluie, les eaux qui en descendent pourraient déloger les algues à l’embouchure et déstabiliser toute la grosse masse qui est là et l’emporter. Le maire a dit ok mais tout a été fait en dépit du bon sens ! Ils ont fait venir une pelleteuse avec une pelle fermée qui ramassait plus d’eau que d’algues au lieu d’utiliser une fourche. Ils ont travaillé 4 jours pour rien alors que s’il y avait eu du matériel adapté le travail aurait pu être fait en 2 jours. C’est ridicule et on gâche de l’argent. Le maire et son équipe sont venus, j’ai fait des propositions pour dégager efficacement le marigot que le maire a refusé. Manifestement la santé des riverains de Frégate Est 2 et tout le matériel que l’on perd n’intéresse pas la mairie du François. On dépense des milliers d’euros à remplacer notre matériel et nous sommes tous dans ce cas, dans l’indifférence la plus totale des autorités. Ce qui nous choque, c’est qu’il y a un aspect politico-médiatique autour de ce phénomène avec de beaux discours qui ne sont pas suivis d’effets ou sans résultats ! Les moyens qui ont été mis en œuvre jusque-là n’ont rien à voir avec l’ampleur du phénomène où sont mal utilisés. Par exemple, quand ils ont décidé de mettre des capteurs pour relever les taux d’H2S, ils ont installé l’un d’eux en l’air, derrière un mur, alors que l’H2S est plus lourd que l’air ! Donc tout allait bien au niveau des mesures mais lorsque nous avons demandé à ce que ce capteur soit implanté au bon endroit près de l’angle du marigot, on est passé à plus de 3 ppm !  Ce qui est incompréhensible aussi, c’est qu’on a investi des sommes considérables dans des études qui ne servent à rien jusqu’à aujourd’hui alors qu’à présent on sait exactement ce qu’il faut faire. C’est tellement évident que ça énerve tout le monde et les gens signent notre pétition. Cela fait 7 ans que nous avons ce problème d’algues, alors si au bout de ce temps, on n’est même pas capable de mettre en œuvre un matériel approprié, c’est dramatique. On nous dit qu’il n’y a pas d’argent mais on dépense de l’argent en vain. Depuis 2011, il a été dit dans un article que pour Frégate Est 2 la collectivité avait dépensé 160000€…Nous avons demandé une explication au maire par lettre, où est passé cet argent puisque nous n’avons vu ici aucun chantier ? Nous sommes une centaine de signataires. Notre pétition sera adressé au Maire, à la sous-Préfète, et nous ne sommes pas seuls, beaucoup de pétitions circulent dans les quartiers touchés, cela correspond à un ras le bol. Nous adressons également une lettre au Ministre de l’Environnement. Il y a une sorte de déni du problème de santé publique et un déni de l’ampleur du phénomène. Des décisions sont prises en dépit du bon sens pourtant on sait bien qu’il faut arrêter les algues avant qu’elles arrivent, ça veut dire qu’il faut acheter du matériel pour les arrêter en mer. Depuis 2011 des fonds publics ont été débloqués mais aucun matériel n’a été acheté. Il y a une incompétence généralisée. Si cela continue de cette façon nous serons amenés à porter plainte. On va se retrouver confrontés à une situation épouvantable du type sang contaminé ou chlordécone. Il y a des fonds qui ne sont pas utilisés pour mettre en œuvre ce qu’il faut.  On sait tous que si on mettait des filets bloquants après avoir fait un premier nettoyage du rivage, et que si on se servait d’engins tels que TRUXOR pour ramasser les algues au large, ce serait un début de solution. Certains privés ont même tenté de mettre eux-mêmes des dispositifs en place pour arrêter les algues ils se sont fait rappeler à l’ordre parce qu’ils n’avaient pas demandé les autorisations, c’est ridicule…Et je sens que la colère monte. Quand vous êtes confrontés à une inertie des pouvoirs publics alors qu’il y a de l’argent et qu’il y a urgence, c’est désespérant. Et puis, nous aimerions connaître les conséquences d’une exposition à long terme. Avec ma femme, nous ressentons une grande fatigue que nous n’avions pas avant l’arrivée des algues. »

Une voisine intervient et raconte que plusieurs animaux sont morts dans le quartier, elle a peur de mourir la nuit parce qu’elle s’étouffe. « Je ne peux plus dormir là » dit-elle.

Madame Gérard parle de démangeaisons terribles sur la peau. Monsieur Gérard raconte que l’un de ses voisins doit louer un appartement ailleurs car sa femme a de graves problèmes pulmonaires. Un autre voisin qui a investi dans des bungalows pour faire de la location saisonnière ne peut pas travailler… Le loueur de kayaks non plus. « Ca veut dire que sur le plan du tourisme, du travail et de la vie quotidienne, c’est catastrophique !  Ce n’est pas juste une gêne ! Il y a un véritable déni des autorités.»

Par ailleurs, Madame Gérard a fait une constatation très intéressante pour l’avenir :

« J’ai constaté que les algues accumulées sur le rivage, au bout de plusieurs années, après avoir été lessivées par la pluie donnent un compost très noir et très riche. Je l’ai utilisé pour mes citronniers et cela m’a donné de gros citrons magnifiques »

 

Madame Planque habite sur les hauteurs du quartier et fait partie du collectif:

« Je me bats depuis longtemps pour que les pouvoirs publics interviennent…on dirait que les choses bougent à présent, alors positivons. C’est la nature et on ne peut pas aller contre mais il y a des choses à faire car c’est un problème de santé publique. Nous sommes à la retraite et mon mari a un grave problème de BPCO, au niveau de la respiration c’est très difficile. L’intérieur des maisons est tout noir à cause des émanations du gaz, nous devons remplacer tout notre matériel… »

Monsieur Demazi habite en bordure du marigot qui débouche dans la baie, il ne peut pas rester chez lui car l’odeur du gaz est intenable.

 

Marie-Henri habite là depuis 1963

« Nous craignons pour notre santé et c’est pour cela que nous insistons auprès des pouvoirs publics. A vivre en permanence dans cet air empoisonné, j’ai l’impression d’être un cobaye…Personne ne connaît les conséquences réelles d’ici quelques années. La santé est la priorité et il y a aussi la perte financière puisqu’il faut renouveler le matériel sans cesse. Mais tant que ça n’est pas déclaré comme catastrophe naturelle on ne peut pas se faire rembourser tout ce matériel….Et comment vont-ils pérenniser les actions de nettoyage ? On entend dire qu’il y a des solutions, alors on attend quoi ? Qu’on utilise ce qui existe déjà au lieu de chercher autre chose et agissons de manière efficace, c’est tout ce qu’on demande et cela fait des années à présent ! En 2011 cela a été épouvantable et jusqu’à présent rien n’a été fait, on ne peut que constater la dégradation de notre quartier qui était tellement agréable. On ne peut plus vivre dans ces odeurs fétides. »

 

 

 

L’évacuation de Frégate Est 2, a-t-elle été envisagée après le passage de l’Agence Régionale de Santé  sur place et compte tenu de la détresse des riverains? Voici ce que l’une des habitantes écrivait à ses voisins.

Compte rendu de la réunion avec l’ARS à Fregate Est 2 (agence régionale de santé) :
« Le Medecin de l’ARS et son équipe nous ont écouté.
Ils ont pris en compte nos différents maux et dit que nos plaintes sont légitimes.
Symptômes ORL,  pulmonaires (asthmes) et neurologiques (dépression).
Cependant le médecin dit que nous sommes loin des taux dangereux connus, mais ils n’ont pas l’expérience de l’exposition à long terme !
Ils vont continuer leur enquête médicale pour voir si ça évolue.
Les autres personnes concernées doivent se signaler auprès des médecins sentinelles de l’île (listés sur le site de l’ARS).
Ils nous ont assuré de faire remonter les informations sévères nous concernant au Préfet. Mais leur rôle s’arrête là. Ils ne peuvent RIEN nous garantir sur les actions concrètes qui doivent être menées. »
À suivre…

 

Le tourisme bleu et la pêche impactés par le phénomène

Le plan d’eau du François avec ses beaux fonds blancs aux eaux cristallines et ses îlets, se retrouve, après chaque échouage, complètement défiguré…Le problème est le même pour le Robert et ses îlets, avec une baie complètement envahie par les algues, ainsi qu’au Vauclin, principale base nautique de la côte Atlantique.

Sur les réseaux sociaux, les prestataires touristiques, vivant majoritairement de la mer dans cette zone, sont obligés de mentionner sans cesse que leur activité se poursuit car les touristes s’affolent à la vue des images d’algues en décomposition. Heureusement, jusque-là, les  îlets sont à peu près préservés mais on a vu pour la première fois cette année, des nappes de sargasses flottant dans la Baignoire de Joséphine ! Les hôtels et les restaurants qui ont les pieds dans l’eau, trouvent des solutions isolés, comme Cap Est Lagoon Resort au François, qui ratisse sa plage tous les jours. Périodiquement, les bateaux de plaisanciers et de pêcheurs ne peuvent pas sortir des baies complètement remplies d’algues sur des épaisseurs parfois très importantes, empêchant les bateaux d’avancer. Les locations saisonnières trop proches de la mer ne peuvent plus proposer leurs services en raison des odeurs fétides permanentes que dégage le H2S.

 

 

A la pointe Faula au Vauclin, haut lieu de sports nautiques sur la côte atlantique, les commerçants et les restaurateurs ressentent une réelle baisse de fréquentation.

Rose Bleue est installée avec son food truck sur la plage de Pointe Faula depuis longtemps :

« Je ne sais pas si c’est à cause des sargasses, mais il y a beaucoup moins de clients depuis février par rapport aux autres années. Normalement la fréquentation commence à baisser en mai. Mais là, il n’y a presque plus personne depuis un bon moment. Il y a eu beaucoup de sargasses cette année et chaque fois que la commune  les enlève, il en revient toujours autant. Ils les enlèvent avec leur machine qui vont dans l’eau et qui ratissent mais ça ne sert à rien. Cette année, l’odeur était vraiment forte et c’est la première fois qu’elles restent aussi longtemps. Si ça continue comme ça, il faut les empêcher d’arriver en mer avant qu’elles ne s’échouent sur la plage. »

Pour les sports nautiques qui se pratiquent le long de la côte, cela devient un réel problème, notamment pour le kite surf. Cora, monitrice de kite basée au Cap Est Lagoon Resort évoque même un danger pour les pratiquants, en raison des fils qui se prennent dans les bans d’algues.

Plus au sud, la Trace des Caps, randonnée très prisée des marcheurs le long des plages sauvages de la côte Atlantique, est devenue impraticable. De la plage de Macabou jusqu’aux plages du sud Atlantique, c’est une vision apocalyptique qui s’offre aux regards, avec des anses noires de sargasses en décomposition et des émanations terribles.

Marc Marie-Magdelaine est l’un des fondateurs de Fleur d’Ô, cette activité de promenade écologique et didactique sur des pirogues transparentes, dont le parcours sur le lagon de Pointe Chaudière au Vauclin, parvient heureusement à éviter les algues. Marc vit aussi à Pointe Chaudière, il est environnementaliste et nous apporte son témoignage et son éclairage.

« Nous avons beaucoup de chance pour notre activité par rapport aux  autres professionnels de la mer, dans la même zone, car notre baie (Sans-Souci) est très grande. Elle forme un lagon fermé par la barrière de corail et on voit passer les sargasses qui descendent au fond de la baie. Elles n’empêchent pas notre activité qui se fait en dehors de la baie mais nous sommes impactés quand même par la baisse de fréquentation. Ca a une telle réputation de nocivité que les gens reculent, ils nous demandent avant de réserver s’il y a des sargasses. On les rassure, mais l’image des sargasses est tellement déplorable pour les visiteurs qu’ils désertent la côte Atlantique. L’impact le plus important, que je vois au-delà des désagréments connus sur le matériel et sur la santé, c’est sur l’environnement.  Parce que pour nous êtres humains c’est un juste retour de bâton puisque nous sommes certainement responsables de son développement. Mais c’est déplorable pour l’écosystème. Ici, nous avons une baie qui a été entièrement remplie de sargasses sur pratiquement un mètre d’épaisseur. Tout l’écosystème en-dessous de cette masse meurt, l’herbier meurt. Quand la sargasse se décompose, elle créée une laitance, la décomposition de matières organiques génère de la chaleur, le PH est complètement modifié, le milieu s’appauvrit en oxygène. L’eau sous la couche de sargasses devient impropre à la vie, non seulement les sargasses meurent mais tous les autres organismes meurent aussi, les oursins, les poissons, les juvéniles, les tortues, on a même retrouvé un squelette de marlin.  Toute la vie animale et végétale est détruite. Et les poissons quand ils sont piégés par la nappe de sargasses, ne trouvent pas de sortie. Ils s’engouffrent dans la moindre brèche pour sauter et essayer de s’en sortir mais ils se retrouvent au-dessus de la nappe et meurent.

On sait très bien qu’on ne pourra pas échapper à d’autres échouages et on peut imaginer ce que ça peut donner à long terme sur l’écosystème qui pour l’instant parvient à se régénérer. C’est très préoccupant pour l’avenir.

Ce qui est préoccupant aussi c’est la situation des gens de bord de mer qui au fur et à mesure ne pourront plus habiter leurs maisons, d’ailleurs on voit déjà que certains spéculent pour acquérir ces maisons à bas prix.

Il faut essayer d’analyser ce que font nos voisins caribéens, on a l’impression qu’ils avancent plus vite que nous sur ce sujet. Il y a en Martinique, comme un immobilisme.

L’origine des sargasses c’est l’un des sujets que l’on traite à bord de Fleur d’Ô (promenades didactiques sur le milieu naturel). On essaie d’être à jour sur les informations, les connaissances avec les spécialistes qui viennent chez nous pour restituer ensuite auprès du public sous forme vulgarisée. Il faut que les gens soit conscient de leur patrimoine naturel pour pouvoir le défendre. »

On le voit bien ici, la population du bord de mer en général est très impactée par le phénomène que ce soit sur le plan professionnel ou privé. Mais au-delà de la catastrophe écologique et humanitaire que représente le fléau, des questions importantes se posent. Celle du problème de santé publique, les gens se demandent quelles conséquences aura sur leur santé, l’exposition chronique au gaz à laquelle ils sont soumis. Et une angoisse s’installe. Ensuite, celle de la gestion de crise. Les gens ne comprennent pas pourquoi, depuis que l’île est soumise à ce phénomène (2011), la gestion de crise n’est pas plus efficace, alors qu’ils voient des solutions dans les petits pays de la Caraïbe, plus pauvres que la Martinique. Un habitant du Vauclin disait : « Ce qui est préoccupant en Martinique ce n’est pas tellement les sargasses en elles-mêmes, c’est le traitement, la gestion du problème par les autorités. Comme si la population de la Martinique était de second ordre.».

Le Ministre de l’Environnement, qui a annoncé sa prochaine visite devra certainement aborder cette question : Pourquoi a-t-il fallu attendre la crise sévère de cette année pour mettre en place un dispositif anti-sargasses ?

Nathalie Laulé

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