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Au François, le littoral étouffe sous les algues en décomposition…

La commune du François est l’une des plus impactées par le phénomène des sargasses de la côte Atlantique. Avec un littoral très diversifié et très découpé, les solutions pour lutter contre le fléau sont difficiles à trouver et à mettre en œuvre. En même temps, c’est sur cette commune que la seule solution de valorisation des algues par  compostage a été mis au point au sein de la société Holdex. Nous avons voulu connaître l’avis du maire de la commune sinistrée, Joseph Loza.

 

  • Martinique 2030 : Suite aux  arrivages massifs d’algues sargasses sur le littoral du François, quel bilan tirez-vous pour la commune quelles sont les conséquences du fléau et les perspectives d’avenir ?

Joseph Loza : Nous avons connu ces temps derniers plusieurs arrivages importants. Dès le lendemain des intempéries du lundi 16 avril,  j’ai fait une tournée sur le terrain pour constater les dégâts puis par hélicoptère sur tout le territoire de la Ville. En fin de vol, j’ai demandé au pilote de survoler la mer. Là, j’ai découvert un continent flottant d’algues sargasses qui arrivait sur la Martinique. J’ai alors dit à la sous-préfète du Marin, Mme Corine Blanchot Prosper que j’accompagnais, que ce continent d’algues s’échouerait directement sur le François. Nous en avons reçu une partie et je pense que le reste s’est échoué sur les côtes des communes voisines.

Mais pour répondre à votre question, pendant deux ans nous n’avons pas connu beaucoup d’épisodes liés aux algues sargasses. Je pensais que nous n’en aurions pas vu pendant longtemps, mais cette année elles m’ont fait savoir qu’elles sont là et bien là.

Quand on sait d’où viennent les algues sargasses, çà fait réfléchir. Car maintenant plusieurs études permettent de mieux connaître le phénomène. On ne sait pas encore tout, mais nous pouvons dire que les algues sargasses naissent au Brésil, à l’embouchure du fleuve Amazone. Les nutriments emportés par l’Amazone, les nitrates, les phosphates notamment, contribuent à nourrir les sargasses. Ces algues brunes flottantes se dirigent vers l’Arc antillais grâce aux courants marins. Ces courants ont aussi changé à cause de la nature qui nous rappelle que nous l’avons trop esquintée, et que le changement climatique est bien là. Ces sargasses et les courants qui ont changé nous font comprendre que le dérèglement climatique nous concerne tous !

En termes de bilan, les côtes du François ne sont pas comme celles du reste du Sud de la Martinique. Au Diamant ou à Sainte-Luce il y a des plages. Au François, nous avons trente sept kilomètres de côtes accidentées. Nous avons beaucoup de mangroves, beaucoup de baies, beaucoup de trous où la végétation est importante… Nous avons aussi des trous, tel le trou Monnerot, où il est très difficile également d’aller lutter contre ces algues. Il est aussi très difficile d’enlever les algues sargasses dans les mangroves. Sur l’ensemble de la zone côtière nous avons de nombreuses populations, toutes catégories confondues, qui y vivent.

Il faut dire que nous avons un service à la Ville qui s’occupe, entre autres, de ce phénomène toute l’année, je pense à la Direction de l’Urbanisme, de l’Aménagement et de l’Environnement. Ces agents, sur terre et sur mer, connaissent parfaitement tous les sites d’échouage.  Je veux dire que nous prenons ce problème très au sérieux !

Je rappelle que les côtes du François sont aussi habitées. Avec l’Agence Régionale de Santé et d’autres services de l’État nous avons entrepris depuis très longtemps  de faire en sorte qu’il y ait des mesures pour signaler les émanations de gaz sulfurés, H2S. C’est ainsi que des détecteurs ont été posés dans des secteurs tels les quartiers Frégate ou Presqu’île. Ces appareils sont en relation étroite et directe avec l’ARS et j’ai demandé récemment que de nouveaux détecteurs soient posés dans d’autres quartiers littoraux. Ces capteurs permettent de voir immédiatement tout dépassement du seuil. Il s’agit de prévention puisque les habitants sont avertis qu’ils seront obligés d’évacuer si les seuils limites sont dépassés. Mais cette prévention s’applique aux quelques huit sites d’échouages principaux répertoriés qui sont aussi habités. Je veille à ce que ces mesures indiquées soient les même pour toutes les populations concernées. Je me dois aussi de les aider à supporter ce fléau !

  • M 2030: Quel est votre vision face au défi du changement climatique pour la commune du François?

Joseph Loza : Nous subissons pleinement le changement climatique au François. Non seulement avec les algues sargasses, mais les inondations du lundi 16 avril nous montrent qu’il y a des choses qui arrivent aujourd’hui, que nous ne connaissions pas auparavant, et que nous nous devons d’y faire face.

De mémoire d’homme, nous n’avions pas encore connu de pluies de grêlons. On se rend compte maintenant qu’il y a des phénomènes que nous n’avions jamais vu. Vous avez dû entendre l’information selon laquelle de l’herbe pousse dans le désert du Sahara, comme dans d’autres déserts. Nous entendons dire sur terre ou sous les mers, partout dans le monde, que beaucoup de phénomènes nouveaux et méconnues apparaissent.

En plein mois d’avril, nous enregistrons des grêlons au François. L’épisode du nuage qui a éclos et qui a stagné sur la commune, nous l’avons déjà connu. Ce n’est pas la première fois. Mais l’association du nuage qui reste uniquement sur le François et les grêlons, et surtout la quantité d’eau tombée à l’heure, c’est du jamais vu ! A cela s’est ajoutée la marée montante. On se rend compte que des choses nouvelles apparaissent et que nous devons nous attendre, dans les mois et les années à venir, à faire face à des réactions de la nature que nous n’imaginions même pas.

  • M 2030: L’érosion des côtes y est pour quelque chose selon-vous ?

Joseph Loza : Le changement climatique est lié au fait que l’océan répond à ce changement climatique. Nous savons déjà que l’augmentation du niveau de la mer est déjà visible. Qui dit augmentation du niveau de la mer dit submersion de côtes que, encore une fois, nous ne connaissions pas jusqu’à maintenant. C’est ainsi que nous verrons au François comme dans les autres communes de la Martinique, des côtes qui seront submergées plus fortement qu’auparavant. Nous verrons des pénétrations d’eau à l’intérieur du territoire comme nous ne l’avions jamais noté. Le professeur Pascal Saffache a publié une carte de submersion due uniquement à la montée du niveau de la mer. On se rend compte que des zones qui ne sont pas impactées aujourd’hui au François seront des zones submergées dans quelques années.  Et nous ne parlons même pas encore de phénomènes tsunami ou autres tempêtes…

  • M 2030: Quelles actions pouvez-vous mettre en œuvre pour protéger les populations et l’environnement avec quels moyens ?

 Joseph Loza : Concernant les émanations d’H2S, nous avons, avec les services de l’État, mis en place des détecteurs. Mais ce que je répondrai à cette question c’est que l’État doit faire en sorte de recueillir ces algues sargasses avant qu’elles n’arrivent sur les côtes. Parce que combattre ces algues lors de leur échouage s’avère très compliqué. La logique voudrait qu’on arrête les nappes de sargasses au large.

Les moyens pour recueillir les algues sargasses en mer, sont des moyens dont ne disposent pas les communes. Je rappelle toutefois que  depuis 2015 nous avons retirés des dizaines de tonnes de sargasses sur nos côtes. Certes avec des aides diverses, mais cela impacte quand même lourdement le budget communal.

  • M 2030 : Que fait-on en attendant avec les algues qui arrivent ?

Joseph Loza : C’est faire avec les moyens que nous avons. L’Etat mène une étude sur un engin mécanique, des barrages flottants sont envisagés, etc. Mais les fonds qui sont débloqués pour enlever les algues sargasses risquent d’être insuffisants. Pour l’instant l’Etat semble prendre les choses à bras le corps. Récemment, la sous-préfète du Marin a proposé la mise en place d’un plan d’action communal sargasses. L’objectif est de mettre tous les huit points les plus sensibles, elle a décidé de prioriser Frégate Est 2 où les niveaux d’exposition sont constamment élevés. C’est une question d’ordre sanitaire que je partage totalement. Et sur ma proposition, nous allons créer une bande de roulement le long de la côte pour pouvoir mieux accéder à la mer et permettre aux engins de travailler. Pour cela, les riverains ont accepté de signer une convention avec l’Etat qui pourra désormais pénétrer sur leurs propriétés privées, et occuper une bande de 4m de leur terrain, en bordure du littoral, pour effectuer les travaux. J’ai demandé toutefois à la sous-préfète que tous les points du littoral impactés soient traités avec autant d’efficacité car je veille à ce que toute la population, sans restriction, soit traitée de façon égale. L’Etat prendra à sa charge 80% du coût des travaux qui seront réalisés. Enfin, il s’agit surtout d’informer nos populations de l’arrivée des algues et de continuer à faire de la prévention. La recommandation la plus importante est qu’il faut s’éloigner de la côte dès que l’on se sent vraiment incommodé par les odeurs. Tout dépend des individus, chacun réagit différemment.

  • Antilla : Comment positiver et faire de la sargasse une ressource ?

Joseph Loza : Au début de l’arrivée des algues sargasses, des gens ont pensé que ces algues étaient comme les “wawèt” que nous connaissions dans le temps, ces algues ramassées sur le bord de plages servaient d’engrais dans les champs, notamment pour les citronniers. Ces algues « varech » chassaient les pucerons, les “pichon” comme on dit. Mais les études le prouvent que les algues sargasses, contiennent non seulement du sel mais aussi des métaux lourds. Il ne faut pas oublier que les sargasses contiennent de l’arsenic. Ce sont des algues qui ne peuvent être mises sur les terrains. Nous risquons d’empoisonner nos terres.

Ceci étant dit, nous avons au François, l’entreprise Holdex Environnement qui produit du compost à partir d’algues fraîches. Cette entreprise peut avoir des méthodes permettant d’introduire des algues sargasses dans les composts qu’elle fabrique. Je n’irai pas plus loin car je ne sais pas encore si cette société a emprunté cette piste. Simplement pour vous dire que le particulier ne peut pas, sans risque d’empoisonner son terrain, y mettre comme ça des algues sargasses.  Là encore la vigilance est de mise et vous pouvez compter sur moi!

Propos recueillis par Nathalie Laulé par voie électronique

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