POINT FORT

Henri Hannequin : ACISE Samusocial

Henri Hannequin, Responsable des opérations et du développement de l’ACISE Samusocial de Martinique (l’Association Citoyenne pour l’Insertion Solidaire et Economique), salarié de l’association depuis plus de 4 ans, nous parle des débuts de la structure jusqu’aux dispositifs d’aujourd’hui, en passant par la ressourcerie de Case-Pilote et les boutiks. Interview.

Parlez nous de l’historique de l’association

L’ACISE existe depuis 2002. L’Association a été créée pour prendre la suite d’une autre association, l’APEX (association pour la prise en charge de l’exclusion). Le cœur de métier de l’ACISE est la prise en charge des sans-abri et sans domicile fixe. Ces derniers sont souvent victimes de maladies psychiatriques ou de troubles du comportement, et / ou toxicomanes. En bref, les personnes qui sont dans la rue, en très grande précarité, en urgence sociale. L’ACISE a débuté à Fort-de-France avec l’ouverture d’un centre d’hébergement et d’un accueil de jour. Ces dispositifs ont grandit au fil des années parce que le besoin est aujourd’hui encore très important.

Ce besoin a t-il évolué au cours des années ?

Oui. On constate qu’il y a plus de jeunes et plus de grandes personnes dans les bénéficiaires des services de l’ACISE. Les plus expérimentés des salariés de l’ACISE disent que le crack fait un peu moins de ravages qu’au début des années 2000 et dans les années 90. Et puis le besoin a aussi évolué un tout petit peu en parti grâce à nos interventions. Je pense que les plus anciens des martiniquais, peuvent voir une évolution de la figure du sans-abri : Bien qu’il en reste évidemment, il y a beaucoup moins de gens en guenilles dans les rues.

À ce jour, quels sont les dispositifs qui sont à la disposition des usagers ?

Pour ce qui est du volet médico-social, il y a 89 places d’hébergement et de logement dans des dispositifs différents.

  • 25 places d’urgence : une douche, un dîner et un lit dans un dortoir.

  • 34 places de stabilisation : un dispositif d’hébergement collectif, où la personne hébergée s’engage à entrer dans une démarche d’accompagnement personnalisé.

  • 20 maisons relais : La maison relais est généralement l’étape avant l’hébergement autonome.

  • 10 Lits halte soin santé : C’est un service de soins à domicile pour des patients qui n’ont pas de domicile. En plus des soins, il y a donc une prise en charge de l’hébergement et des droits sociaux.

  • Il y a aussi un accueil de jour, où les gens peuvent se rendre spontanément pour avoir un petit déjeuner, se laver, se vêtir, avoir un accès à une permanence médicale généraliste et une permanence médicale psychiatrique. A l’accueil de jour, nous avons aussi une permanence d’accès au droits sociaux.

  • Finalement, il y a le Samusocial, qui est constitué de travailleurs sociaux et d’agents de médiation qui vont dans les rues de Martinique à la rencontre des sans abri. Les équipes distribuent une collation pour établir le contact, et surtout tendre la main. Dans notre démarche sociale on est respectueux de la volonté des gens et de leur liberté, chacun est libre de vivre à la rue s’il le souhaite. Nous offrons une possibilité de sortie.

Aidez-vous les usagers jusqu’à l’insertion à l’emploi ?

Dès le milieu des années 2000, il y avait 2 besoins à remplir pour l’ACISE. Un qui était d’habiller les sans abri, et un autre qui était d’aller au-delà de la prise en charge médico-sociale, de donner l’opportunité d’aller plus loin dans l’insertion. Depuis 2007 donc, il y a des ateliers chantiers d’insertion qui ont vu le jour dans l’idée d’avoir une continuité de la prise en charge vers le socio-professionnel. Au début, les ateliers chantiers d’insertion, c’était un atelier de couture parce qu’il y avait des vêtements, et que ceux-ci devaient être réparés. Puis il y a eu une ferme agricole qui a durée presque 10 ans. Aujourd’hui, la ferme existe comme support d’insertion sociale, dans une visée thérapeutique, afin d’éloigner les sans abri de la rue, les changer d’air pendants quelques heures.

Et de là sont arrivés les boutiks et la ressourcerie ?

Par le bouche à oreille, l’ACISE s’est retrouvée avec plus de vêtements que nécessaire. De plus, nous avions l’objectif de créer toujours plus d’activité, comme support de travail pour l’insertion. Le changement de paradigme pour l’ACISE se fait en 2013 avec la Rencontre du Réseau des Ressourceries. On est alors passé d’une logique 100% solidaire à une démarche de “récup'” et de réemploi. Avec l’économie circulaire, ce sont des notions que l’ACISE s’est appropriée en cherchant à développer plus d’activités pour générer plus d’emplois.

Quelles sont les fonctions de la ressourcerie ?

Une ressourcerie a quatre fonctions : Tout d’abord, collecter les objets à potentiels de réemploi, en apport volontaire ou à domicile sur rendez vous. Il faut ensuite valoriser ces objets. En théorie il y a trois niveaux de valorisation, mais dans notre cas il n’y en a que deux : le nettoyage et la réparation, par exemple poncer un meuble et le repeindre. On ne le fait pas encore, mais le troisième niveau de valorisation est le détournement d’objet, c’est à dire donner à l’objet une autre identité. Puis, après ce processus, il faut trouver des clients pour les objets retapés. La dernière fonction est enfin la sensibilisation du grand public à la meilleure gestion des déchets, et à l’intérêt de la prolongation de la durée de vie des objets.

Y a-t-il beaucoup de matériel à gérer ?

Selon une étude réalisée par le Réseau des Ressourcerie et l’ACISE pour le compte de CAP NORD, en extrapolant les résultats à tout le territoire, il y a en Martinique 4000 tonnes par an d’objets à potentiel de réemploi et 1200 tonnes par an de textiles, linges de Maison et Chaussures à collecter et traiter en Martinique. Aujourd’hui l’atelier chantier d’insertion Martinique TLC de l’ACISE collecte 1000 tonnes de vêtements par an, soit 80% du gisement, c’est un succès. La Ressourcerie de l’ACISE à Case Pilote traite plus 110 tonnes par an de meubles, électroménager, jouets, livres etc. Le reste du gisement atterri aujourd’hui dans les ordures ménagères, dans les déchetteries, ou est abandonnés dans des décharges sauvages. La Ressourcerie de Case-Pilote a été conçue pour couvrir les besoins du Nord Caraïbes, en gros pour 30 000 habitants. Elle a vocation à traiter 200 à 250 tonnes par an grand maximum. Le fait est que l’ACISE est aujourd’hui la seule ressourcerie de Martinique à offrir un service d’enlèvement d’encombrants à domicile gratuit, nous sommes donc très sollicités sur tout le territoire.

Quels sont les besoins en infrastructures pour gérer un tel gisement ?

Il n’existe pour l’instant qu’une Ressourcerie en Martinique qui rassemble sur le même lieu la collecte, la valorisation, le réemploi et la sensibilisation. C’est celle de l’ACISE à Case-Pilote. Nous estimons qu’il faudrait, pour valoriser au mieux le gisement d’objets à potentiel de réemploi, au moins 3 autres lieux comme celui là : dans le Nord Atlantique, dans le centre et dans le sud. Les Communautés d’agglomération et le SMTVD doivent se mobiliser pour que de telles infrastructures voient le jour.

De son côté, l’ACISE a six autres boutiks, dans le centre et le sud. Ces boutiks sont des points d’apport volontaire, des lieux de vente et de sensibilisation mais elles ne peuvent pas traiter tout le gisement. Pour la collecte des vêtements il y a les bornes, et l’ACISE, avec l’ADEME et la CTM, travaille à un projet de centre de tri industriel des textiles, linges et chaussures.

L’équipe de travail doit être considérable pour arriver à tout faire ?

Pour les activités de collecte et réemploi, en 2018, l’ACISE bénéficie de la présence de 52 équivalents temps plein en insertion, conventionnés par la DIECCTE, encadrés par une petite quinzaine d’encadrants permanents, professionnels de l’environnement, du tri, de la collecte, de la valorisation, et de la logistique. Le pôle médico-social et les services supports emploient 40 personnes environ. Nous sommes plus de 100 à l’ACISE, sans compter les nombreux bénévoles qui nous apportent une aide bienvenue sur certains secteurs d’activités. Pour nous rejoindre les bénévoles peuvent s’inscrire sur notre site internet.

Qui sont les «fournisseurs» et les consommateurs de matériel de seconde main ?

Les martiniquais sont généreux, ils ont massivement recours à nos services pour se débarrasser de leur mobilier encore en bon état. C’est essentiel à la viabilité de l’activité d’avoir des volumes importants. Ensuite on a une fréquentation importante dans les boutiks qui est composée en majorité de gens qui n’ont pas beaucoup de moyens, mais on commence a voir apparaître une clientèle un peu plus aisée ou environnementalement consciente, qui estime que ça a du sens dans leur mode de vie de consommer autrement ou qui veulent avoir un objet unique.

Ce que je peux dire en terme d’analyse économique pour le marché de l’occasion c’est qu’il y a énormément de préjugés sur le fait que les martiniquais ne veulent que du neuf. En 2013 on écoulait 10 tonnes de vêtements d’occasion, en 2016 nous en avons commercialisé 50 tonnes. Le marché de l’occasion est un marché de l’offre, pas un marché de la demande, il n’y a qu’à voir l’essor d’un site comme “Le Bon Coin”. Spontanément les gens ne demandent pas à consommer des produits d’occasion, mais quand le produit est là, qu’il est de bonne qualité, quand il est bien présenté, quand dans les magasins les clients sont accueillis comme dans n’importe quel magasin, les gens achètent de l’occasion. On est très confiant sur le fait qu’il y ait une vraie progression de ce marché dans les années qui viennent.

Mariska Desmarquis


Site internet : http://acisesamusocial.org/

Contact : communication@acisesamusocial.org

Téléphone : 0596 72 86 06

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