Biodiversité

Les Sargasses, ce fléau venu d’ailleurs…

C’est avec un certain recul qu’il convient d’aborder un phénomène qui nous a surpris par son ampleur et sa persistance : l’invasion du littoral martiniquais par les algues Sargasses. Bien que ce phénomène soit de moins en moins médiatisé, il demeure aujourd’hui encore très peu compréhensible. Tout d’abord, qu’est-ce qu’une Sargasse ?

Sargassum fluitans est une algue brune pélagique qui croit à la surface de la mer, en tapis dense et épais, abritant un écosystème riche mais relativement précaire. Cette algue, qui a donné son nom à une portion de l’océan Atlantique (Mer des Sargasses – 120 millions d’hectares – localisée entre les Bermudes, la Floride et Porto Rico), est formée de thalles (feuilles) dentelés, de stiges (tiges) et de pneumatocytes (flotteurs). Sa couleur naturelle est le jaune-marron qui vire au marron foncé lorsqu’elle se décompose. Sur les 27 communes côtières de la Martinique, six ont été particulièrement affectées par de gros volumes d’algues : le Robert, le François, le Vauclin, le Marin, Sainte-Anne et le Diamant, soit une majorité de communes de la côte Atlantique.

Ce phénomène inédit a provoqué de nombreux effets indésirables. Premièrement, au contact des écosystèmes de mangrove, ces algues ont asphyxié un maximum d’alvins ; quand on sait que les deux-tiers des poissons pêchés dans le Golfe du Mexique proviennent des mangroves antillaises, cela ne manque pas d’interpeller.

Sur les anses sablonneuses elles ont perturbé aussi les activités balnéaires, particulièrement en raison de leur odeur putride (odeur d’oeuf pourri en phase de décomposition du fait de la présence d’hydrogène sulfuré). Enfin, sur un plan esthétique, elles ont fortement dégradé des paysages jugés jusqu’alors idylliques.

Au-delà des méthodes visant à les évacuer (ramassage à la main ou à la pelle mécanique), une question demeure : quel phénomène explique leur importante accumulation sur les rivages antillais ?

L’élévation anormale de la température de l’Océan Atlantique pourrait expliquer ce phénomène. En effet, si les océanographes estiment que la Mer des Sargasses comprend en moyenne chaque année un à deux millions de tonnes d’algues, en 2005 (année extrêmement chaude), leur volume a été multiplié par 4 ; l’augmentation de l’ensoleillement accentuerait donc la photosynthèse et par extension leur prolifération.

Si l’origine du phénomène semble connu, la dérive de ces algues interpelle toujours autant. D’après les travaux de l’océanographe Brésilien Guilherme Castellane, des masses d’eau tourbillonnaires (de 400 km de diamètre) se seraient formées dans l’Océan Atlantique à la suite des violents séismes de 2010 et de 2011 (l’origine du phénomène serait à rechercher dans une légère modification de l’axe d’inclinaison de la terre) et auraient modifié la courantologie ordinaire.

Ainsi, la mer des Sargasses d’ordinaire si calme (du temps de la traite négrière cette mer était appelée « Pot au Noir », car les voiliers qui s’y aventuraient pouvaient rester plusieurs semaines immobiles et lorsque l’eau venait à manquer à bord, les esclaves les plus fragiles étaient jetés par dessus bord) serait perturbée par ce brassage courantologique – qui n’existait pas jusqu’alors – et exporterait ses algues au gré des courants …

S’il ne semble plus y avoir de doutes sur les mécanismes sous-tendant la prolifération de ces algues, leur mise en mouvement demeure encore énigmatique et les hypothèses émises par cet océanographe brésilien mériteraient d’être confirmées…

Ludovic LOUIS, Pascal SAFFACHE

 

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