Air / Eau

MADININAIR : la qualité de l’air en Martinique

 « Le droit à chacun de respirer un air qui ne nuise pas à sa santé », c’est en ces termes que l’on pourrait définir la Loi LAURE (Loi sur l’Air et l’Utilisation Rationnelle de l’Energie du 30 décembre 1996), et origine de la surveillance de la qualité de l’Air à la Martinique et donc de la création de l’association Madininair qui emploie aujourd’hui 13 personnes.

Rencontre avec Gaëlle Grataloup, la responsable communication de Madininair depuis 2009.

Présentez-nous Madininair…

Créée en 1998, Madininair est l’association de la surveillance de la qualité de l’air à la Martinique. Elle a été créée pour répondre à la loi LAURE, Loi de l’Air et de l’Utilisation Rationnelle de l’Energie. Cette loi reconnaît à chacun le droit de respirer un air de bonne qualité. C’est vraiment un principe fondateur de toutes les associations de la surveillance de l’air, mises en place dans toutes les régions pour surveiller la qualité de l’air.

Madininair est une association de loi 1901 qui a dans son conseil d’administration 4 collèges :

– « Etat » : la DEAL, l’ARS, l’ADEME et la DAAF.
– « Collectivités Locales » : les villes de Fort de France, Lamentin et Schœlcher, la Collectivité Territoriale de Martinique et l’Association des Maires.
– « Industriels » : la SARA, EDF, Lafarge Ciment Antillais, le Galion, etc.
–  « Associations et personnes qualifiées dans le domaine de l’environnement ou de la santé » comme le Carbet des Sciences, Météo France, l’AFOC et l’Observatoire Régional de la Santé en Martinique…

Ces quatre collèges participent à la gouvernance et au financement de Madininair. Cette gouvernance quadripartite est garant d’un système équilibré et transparent.

Qui est le président de l’association ?

Nos statuts précisent que le président de Madininair doit être un élu. Jusqu’à la mise en place de la CTM, notre présidente était Madame Thodiard, élue du Conseil Régional et de la Ville du François. De nouvelles élections devraient donc être organisées prochainement.

Quels sont les principaux enjeux de la qualité de l’Air ?

Les principaux enjeux sont d’ordre sanitaire et environnemental.

L’enjeu sanitaire est grandissant : de plus en plus d’études montrent qu’il y a une vraie corrélation entre l’air que l’on respire et la santé tant au niveau respiratoire que cardiovasculaire.

Madininair mesure, surveille donc différents polluants atmosphériques ayant un effet sanitaire et pour lesquels il existe bien souvent des normes à respecter pour la protection de la santé ou de la végétation.

De quels moyens/matériels disposez-vous pour toutes ces mesures ?

Madininair dispose de différents moyens pour surveiller la qualité de l’air en Martinique :

  • les stations fixes qui mesurent en continu, différents polluants réglementaires. Il y a une douzaine de stations de surveillance sur le territoire. Elles mesurent quatre polluants réglementés : le dioxyde d’azote (polluant automobile), le dioxyde de soufre (polluant industriel), les particules fines et l’ozone, un polluant secondaire.

Les premières stations ont été implantées sur Fort-de-France, Lamentin, Schœlcher. Puis avec l’évolution des exigences européennes, françaises et locales, des stations ont été mises en service en dehors de l’agglomération centre. Nous en avons 2 au Robert, 1 à Sainte-Luce et 1 à Saint-Pierre.

  • les unités mobiles de surveillance : un camion et une remorque laboratoires. Ces unités mobiles permettent d’effectuer des mesures en continu n’ importe où sur le territoire.
  • les tubes à diffusion passive: ce dispositif de mesure est facile à mettre en œuvre. Madininair utilise, par exemple, ces tubes pour mesurer le dioxyde d’azote NO2 et établir des cartes de dispersion de la pollution automobile.
  • les tubes à diffusion active 
  • les préleveurs  pour mesurer les métaux lourds et les HAP (Hydrocarbures Aromatiques Polycycliques)

Madininair dispose également d’un laboratoire d’analyses physico-chimiques et un laboratoire d’étalonnage.

Une mission essentiellement de mesure et de surveillance ?

La surveillance et la mesure sont notre cœur de métier. Madininair surveille plus d’une vingtaine de polluants.

Mais au delà de la simple mesure des polluants atmosphériques, Madininair propose son analyse des données et les compare aux normes en vigueur. Madininair répertorie également toutes les sources de pollution de la Martinique. Grâce à un inventaire spatialisé, Madininair apporte une connaissance précise des émissions de polluants atmosphériques sur le territoire. Avec toutes ces données, Madininair peut accompagner, conseiller les décideurs locaux dans certains projets, par exemple dans des projets d’aménagement ou d’urbanisme. Nous pouvons aussi proposer des évaluations prospectives de différentes stratégies pour lutter contre la pollution et donc déterminer les plus efficaces.

Enfin, Madininair s’attache à développer l’information et la sensibilisation. Tous les jours, nous diffusons l’indice de la qualité de l’air sur l’agglomération foyalaise. En cas de pic de pollution, nous sommes mandatés par le préfet pour déclencher des procédures d’information ou d’alerte. Et nous travaillons quotidiennement à sensibiliser la population sur la pollution de l’air extérieur mais aussi de l’air à l’intérieur des logements. Nous organisons par exemple des ateliers, des échanges avec le grand public et nous réalisons de nombreuses animations dans le milieu scolaire. Nous faisons chaque année près d’une centaine d’interventions dans les écoles.

Vous permettez donc aux décideurs d’avoir différents critères pour pouvoir prendre les décisions qui s’imposent, par exemple la circulation alternée.

Lorsqu’il y a des pics de pollution et lorsqu’un des polluants réglementés dépassent les normes sanitaires, Madininair déclenche par délégation préfectorale, des procédures d’information ou d’alerte. Ces procédures renseignent sur l’épisode de pollution en cours et donnent des recommandations sanitaires et comportementales appropriées. Au delà de ces actions d’information et de recommandation, un nouvel arrêté préfectoral prévoit que le préfet puisse aussi mettre en place des mesures de restriction ou d’interdiction de certaines activités afin de limiter la pollution. Par exemple, si l’on connaît un pic de pollution en dioxyde d’azote, le préfet pourrait mettre en place des mesures pour diminuer la pollution automobile. Mais la question se pose de savoir quelles mesures seraient pertinentes et efficaces sur notre territoire. Madininair doit donc apporter son expertise pour aider à la décision au préfet. Nous avons déjà fait des projections sur la limitation de la vitesse et il s’avère que sur la Rocade ce n’est pas du tout efficace. Lorsqu’on baisse la vitesse des poids lourds, ils ne vont pas forcément émettre moins de polluants ; c’est plutôt un effet contraire. On a un territoire particulier, un aménagement particulier, on est sur une île ; certaines actions peuvent donc avoir soit un effet faible, soit un effet contraire à ce que l’on souhaite.

Où sont visibles les résultats de vos études et d’indice de l’Air ?

Quotidiennement, nous diffusons l’indice ATMO qui est l’indice de la qualité de l’air de l’agglomération Fort-de-France, Lamentin, Schœlcher sur notre site internet et auprès des médias. Sur notre site Internet, il est possible d’accéder à tous les résultats de Madininair.

Cet indice évolue-t-il au fil des années ? Quel est l’état de la qualité de l’air généralement en Martinique ?

L’indice ATMO est calculé à partir des stations fixes de l’agglomération Fort-de-France, Lamentin, Schœlcher ; il permet d’avoir au quotidien une vision de la qualité de l’air que l’on respire sur l’agglomération centre. L’indice va de 1 à 10, sachant que 1 c’est un air très bon et 10 un air très mauvais. Globalement, Madininair enregistre plutôt une bonne qualité de l’air (indices 3-4) grâce à des conditions météorologiques favorables ; les alizés dispersent la pollution. Mais à certaines périodes, la qualité de l’air peut se dégrader, comme à Carême et lors de la période des brumes de sables. Il est déjà arrivé d’enregistrer un indice maximal 10. D’ailleurs, cela a été le cas plusieurs fois en 2015 à cause des multiples épisodes de pollutions liés à la brume de sable. Si on prend du recul, il est difficile d’avoir une tendance sur l’indice de la qualité de l’air. Depuis 2000, la proportion de bons indices varient d’une année sur l’autre : ceci est très corrélé aux conditions météorologiques et aux brumes de sable.

Mais si on regarde polluant par polluant, on peut voir certaines tendances se dessiner. Sur le dioxyde de soufre par exemple, on voit une tendance à la baisse, idem pour certains métaux lourds. Par contre, 2 polluants restent problématiques : les particules fines et les oxydes d’azote.

Le dioxyde d’azote est vraiment une problématique liée au trafic automobile et malheureusement, les principaux axes routiers (rocade, autouroute) traversent ou sont à proximité immédiate de quartiers résidentiels. A certains endroits de la Rocade, les normes sanitaires sont dépassées. Or des gens vivent de part et d’autre de la Rocade et respirent quotidiennement cet air ; il faut prendre en considération toutes ces populations. La population de Morne-Vert ou de Sainte-Anne est forcément moins impactée par la pollution de l’air, mais certains endroits sont plus critiques. Il y a des zones sensibles en Martinique : le centre, le Robert mais aussi Saint-Pierre avec les carrières et le trafic des camions.

Depuis quelques années, la CACEM a développé un programme air spécifique ; Madininair effectue donc sur le territoire de la CACEM des études et des analyses plus poussées, par exemple dans des quartiers potentiellement plus exposés comme Dillon ou Etang Z’abricot.

Cela veut dire que les élus des autres communes peuvent vous contacter ?

Madininair effectue une surveillance globale de la qualité de l’air en Martinique, mais répond évidemment à aux demandes spécifiques des collectivités. Actuellement, nous travaillons étroitement avec la CACEM dans le cadre de son programme AIR, mais également avec l’Espace Sud qui est entré dans cette démarche et, je pense que ça va aller en grandissant.

Cela veut dire que ça va mal côté air un peu partout dans le monde et donc en Martinique…

C’est surtout une prise de conscience. Avant l’air n’était pas une priorité. Depuis quelques années, les études se multiplient sur l’impact de la qualité de l’air sur la santé. Le champ de la santé environnementale prend son essor et l’air en est une des grandes composantes.  On ne parle plus seulement d’air extérieur mais également d’air intérieur.

Par ailleurs, les politiques publiques encouragent à avoir des démarches transversales. On ne plus parler de l’air sans parler de la santé, de l’énergie, du climat et vice versa. Cette vision transversale est essentielle pour un développement durable.

Parlez-nous de l’air intérieur ?

L’air intérieur est une problématique émergente en Martinique. Notre façon de vivre a changé, nous sommes plus sédentaires. Et l’habitat a évolué. Avant on vivait dans des maisons créoles très aérées. Aujourd’hui, on a tendance à cloisonner, fermer, mettre la climatisation. L’aération et la ventilation naturelle sont plus rares. Les polluants ont tendance à se concentrer dans les logements, d’autant plus que de nombreux produits du quotidien sont émetteurs de composés polluants. Par ailleurs, nous vivons sur une île avec un important taux d’humidité, favorable au développement des acariens et de la moisissure. Si l’aération, la ventilation sont négligées, ces polluants biologiques prolifèrent encore plus vite. Il est donc essentiel de se préoccuper de cette pollution intérieure qui a également des impacts sur la santé. Cette préoccupation est essentielle sachant qu’il existe déjà une prévalence élevée de l’asthme en Martinique, surtout chez les jeunes. Les martiniquais sont donc très réceptifs à ce sujet.

Existe-t-il des appareils pour les particuliers ?

Madininair n’effectue pas de mesures en air intérieur chez les particuliers. Mais un particulier peut effectuer lui-même des mesures. En effet, de plus en plus se démocratisent des kits vendus sur Internet qui vont mesurer les polluants spécifiques de l’air intérieur.

Un particulier, s’il est asthmatique ou allergique, peut aussi demander à son médecin traitant, l’intervention d’un conseiller médical en environnement intérieur pour des prélèvements ou conseils. Il s’agit d’un nouveau métier peu connu en Martinique mais certains professionnels de santé sont formés.

Quels sont les projets prévus cette année ?

Madininair devrait mettre en service une station au François, afin d’observer et caractériser les particules fines d’origine saharienne, celles véhiculées par les brumes de sable. Madininair doit également mettre en place, avec l’ARS, un réseau de surveillance de l’hydrogène sulfuré, le gaz émis par les algues sargasses. Quinze capteurs vont être installés, essentiellement sur la côte atlantique, à proximité des riverains, pour mesurer en continu ces émanations.

En termes de sensibilisation, on devrait proposer prochainement une exposition sur la qualité de l’air intérieur. Et on démarre un gros travail sur les brûlages de déchets verts. Il y en a beaucoup en Martinique alors que c’est une pratique nuisible pour la santé et interdite. Il est donc important d’informer et sensibiliser la population que cet acte a un impact et qu’il existe d’autres solutions plus propres et faciles pour se débarrasser de ses déchets verts.

Propos recueillis par Philippe Pied

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