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L’homme au cœur du projet…Entretien avec Pascal Saffache

Le regard de l’universitaire Pascal Saffache, sur le projet Shongaï en Martinique…

Pascal Saffache est partie prenante du projet Shongaï sur le territoire de la Martinique. Maître de conférences en géographie et aménagement du territoire, à l’université des Antilles et de la Guyane. Il traite des problématiques environnementales et plus généralement des modalités d’aménagement des espaces naturels au sein des entités micro-insulaires. Il est notamment directeur du master « Aménagement durable des espaces insulaires ». Pascal Saffache est reconnu sur notre territoire, comme étant un éminent spécialiste du changement climatique et un lanceur d’alerte environnementale. Il nous parle ici de sa vision du développement durable et de son implication dans le projet « Anlot jaden pou limanité ».

Pascal Saffache : « Il faut aller chercher le meilleur dans l’Homme ! »

Martinique 2030 : Croyez-vous que le modèle Shongaï soit bien adapté à la Martinique ?

Pascal Saffache : Il est adapté dans la mesure où il prône les valeurs du «développement durable», pas dans le concept fourre-tout du développement durable, mais des valeurs humaines de respect pour la terre et pour l’homme. Ce qui m’importe c’est que les valeurs humanistes et la protection de la nature, de notre maison commune, soient mises en avant. Surtout chez nous, où l’environnement est mis à mal et les relations sociales, sociétales sont compliquées. Dans ce modèle, on va collaborer avec notre environnement pour nourrir la Martinique.

M2030: Cependant, la Martinique a vu naître ces dernières années, de plus en plus de pratiques vertueuses en matière d’agroécologie, de jardins partagés, de systèmes de solidarité; est-ce que ce projet Shongaï est un projet de plus ou vient-il compléter les initiatives ?

Pascal Saffache : Oui, il y a de plus en plus de personnes qui essaient de mettre en place une agriculture paysanne dépourvue de pesticides, d’engrais, de produits toxiques, avec des méthodes culturales vertueuses. Ce sont des projets très intéressants et il y a de la place pour toutes les activités culturales respectueuses de l’environnement. Les fermes Shongaï, comme l’œuvre de Pierre Rabhi, sont des projets très médiatisés, cela n’ôte rien aux projets plus confidentiels sur le territoire. Je suis favorable à Shongaï et je reconnais aussi ceux qui ont été pionniers en Martinique en pratiquant une agriculture vertueuse, à partir du moment où il y a un respect de l’homme dans sa diversité, où l’on produit pour nourrir les autres et non pas en se servant de la nature pour générer du profit.

M2030 :Pensez-vous que la Martinique peut adhérer au modèle Shongai, notamment aux valeurs spirituelles qui l’animent?

Pascal Saffache : Ce modèle jouit d’une bonne aura bien médiatisée qui a été initiée par un prêtre. Bien sûr, il y a des personnes athées qui n’adhèrent pas. Mais ce n’est pas parce que c’est un prêtre qui l’anime que ça lui donne de la valeur . Ce sont plutôt des valeurs universelles qui sont chrétiennes aussi, qui lui donnent cette aura, comme penser et faire pour les générations futures, penser à faire pour son prochain… Le respect du prochain est un facteur qui fait du liant et du lien. Dans ce modèle, l’homme n’est plus une variable d’ajustement et cela peut fédérer tout un chacun avec des modalités et des procédures différentes. Shongaï est un modèle intégré d’agronomie. Tous ceux qui veulent agir pour une production agricole durable, peuvent s’en inspirer. Et dans ce modèle, on participe à la construction de l’humanité, des individus y trouveront leur place. « Que ta nourriture soit ton médicament et que ton médicament soit dans ta nourriture » disait Hippocrate, ici l’idée est de produire des choses saines qui permettent aux hommes de fonder une civilisation saine. On a tellement transformé l’alimentation que l’on ne sait plus se nourrir. .Il faut produire des choses qui permettent de nourrir dignement la population. Les mots clés sont remettre l’homme au cœur du système, rendre à l’homme sa dignité, ne plus être de pseudo esclaves épuisés de « travailler » la terre…

M2030: Ce projet est-il inspiré des Shongaï, cet ancien peuple d’Afrique de l’Ouest vivant respectueusement du travail de la terre ?

Pascal Saffache : Au départ le projet est sans doute inspiré par cela, mais les réalités ne sont pas les mêmes en Martinique, nous ne sommes pas dans le même contexte que cette ethnie. Cependant, nous devons au moins tendre vers la philosophie dégagée par ce peuple et le respect qu’ils avaient pour la nature et pour eux-mêmes.

 M2030: Pourquoi prenez-vous part à cette initiative ?

Pascal Saffache : Je m’y intègre en tant que fervent partisan du développement durable dans un contexte anthropocentrique, où le bien être de l’homme est au cœur du projet. Nous devons tout faire pour nourrir l’homme dignement. En tant qu’enseignant, je montre à mes étudiant qu’il est possible de changer de paradigme. Tout est possible, il faut juste s’en donner les moyens et le vouloir ! Dans le concept Shongaï, je suis très sensible au volet de l’éducation à l’environnement, de façon plus globale. Shongai est un nouveau modèle de société qui donne à réfléchir : comment redéfinir nos rapports sociaux, comment redéfinir notre rapport à la nature en la regardant comme un modèle et non pas comme un objet d’exploitation… Pour les jeunes urbains, la nature nous sert à souhait, elle est à notre service alors qu’elle est notre compagne, nous en avons besoin. Nos sociétés ont créé une catégorie d’hommes hors sol, déconnectés de tout ce qui les a créés, mais nous faisons partie intégrante de la nature. On a voulu nous faire croire que nous sommes des super Hommes, alors qu’anthropologiquement parlant, l’homme est en bout de chaîne. Ce n’est pas parce que nous sommes un animal pensant que nous sommes supérieurs. On veut développer des identités hyper connectées, comme pour les objets.

M2030 :Croyez-vous à la possibilité d’un changement de société, de système, à un changement de paradigme pour la Martinique?

Pascal Saffache : Je crois qu’on assiste à la naissance de deux entités : ceux qui sont dans l’hyper numérisation, les jeunes dès le berceau sont devant les écrans, ce sont des individus numériques et puis les autres ceux qui croient aux valeurs de la terre considérés aujourd’hui comme des marginaux. Ces deux réalités se côtoient…et se rejoindront positivement peut-être… Je ne crois pas en la fatalité, je pense qu’une personne peut être accro à la technologie mais aussi respectueuse de l’environnement, il faut aller chercher le meilleur dans l’homme !

M2030 :Quelles sont nos urgences locales en matière agricole dans le contexte du changement climatique? 

Pascal Saffache : La première nécessité est de cesser de transformer les terres agricoles en zones urbaines, cesser de déclasser, cesser de bétonner, revenir à l’agriculture paysanne qui n’utilise plus de produits chimiques. Car c’est l’industrie chimique qui nous a fait croire que sans ses produits il n’y a pas de rendement possible, alors que c’est parfaitement possible. Il faut imposer une agriculture plus vertueuse notamment pour la banane, les caniers l’ont déjà compris. Cependant, il y a des initiatives très heureuses, il ne faut pas généraliser je suis contre la généralisation, mais le monde de la banane doit faire encore un effort.

M2030: Ressentez-vous les prémices d’une prise de conscience générale ?

Pascal Saffache : Oui, petit à petit… Si on compare à ce qui se passait il y a trente ans dans l’agriculture par exemple, on revient de loin ! On se rend compte que les uns et les autres prennent conscience, notamment concernant le changement climatique

M2030 : Face à l’urgence, les politiques sont-ils assez réactifs ?

Pascal Saffache : Ils sont tous sensibilisés, ils ont eu l’info selon laquelle on peut changer de modèle, certains sont réactifs et très sensibilisés, comme Marcellin Nadeau et il y en a d’autres parmi nos députés…De façon générale, ceux qui posent problème ne sont pas forcément les élus mais ceux qui manquent de formation. J’insiste sur ce problème car mon rôle c’est l’éducation à l’environnement. Pour nos politiques, pour les décideurs, je n’ai jamais encore entendu parler de formation idoine…La chambre d’agriculture et d’autres instances pourraient mettre en place des formations dédiées, il n’y a pas de fatalité, tout est possible, il faut s’en donner des moyens. Nous avons des édilités aux fonctions importantes, qui sont aujourd’hui très sensibles à la problématique environnementale. Il y en a qui sont conscients, d’autres manquent encore de formation.

Propos recueillis par Nathalie Laulé

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