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Un projet Shongaï pour la Martinique, « Anlot jaden pou limanité »

Dans le contexte du changement climatique qui touche particulièrement fort la Martinique, et des nécessaires transitions écologiques à mettre en œuvre, le célèbre modèle d’agroécologie béninois, Shongaï, fait des émules sur notre territoire. Un groupe de scientifiques-chercheurs, de politiques et de membres du diocèse travaillent de concert à un éveil des consciences pour implanter un nouveau modèle de société, où l’humanisme et le respect de la terre sont au centre du projet. Une ferme modèle devrait voir le jour à Morne Vert. L’idée étant de nourrir dignement la Martinique et de former une prochaine génération « d’agripreneurs », conscients de notre appartenance et de notre dépendance à la nature. Nous avons pu en parler avec la doctorante en sociologie-démographie Monette Marie-Louise, à l’origine de ce vaste chantier.

ENTRETIEN

Monette Marie-Louise : « Il faut arrêter de préparer les jeunes aux métiers d’hier et les préparer aux problématiques d’aujourd’hui et de demain »

Martinique 2030 : Comment êtes-vous arrivée dans ce projet Shongaï ?

Monette Marie-Louise : L’un de mes directeurs de thèse est Laurent Parrot, il est économiste et fait de la recherche sur le capital humain et les capabilités humaines…Qu’est-ce que l’homme est prêt à dépasser pour aller ensemble vers le changement ? Ma thèse est transdisciplinaire. Pascal Saffache, professeur géographe est mon co-directeur. Il travaille sur les risques climatiques, nous sommes rattachés à la structure porteuse ED 588 et au labo AIHP-Géode, nous travaillons beaucoup sur la Caraïbe. Je suis dans une démarche de recherche et ma thèse porte sur le développement agricole par le prisme de la formation. Nous parlons de la formation des « agripreneurs ». Dès qu’’on touche à la nature il faut aussi aborder l’aspect humain, avec mes directeurs, nous cherchons à remettre l’homme au sein de l’agriculture, il faut se recentrer, s’occuper de l’homme. Ma thèse aborde l’agroécologie par le capital humain. Jusqu’à présent, quand on parle de transition agroécologique, on parle du sol, on parle de sol pollué mais on n’a pas encore introduit la formation de celui qui travaille le sol, celui qui porte le projet de travailler le sol. C’est une démarche scientifique de recherche, dans le cadre d’une méthodologie qui s’appelle recherche action. Je suis partie à la recherche de modèle pour un développement agricole et humain plus vertueux. J’ai commencé par une immersion en agroécologie chez Terre et Humanisme, chez Pierre Rabhi, en Ardèche. Il a créé trois jardins, tous ceux qui le veulent, peuvent venir les découvrir. On y éduque la population à produire elle-même et à manger sain, dans les jardins à ciel ouvert. Après cette expérience, je suis partie découvrir le modèle Shongaï au Bénin. C’est un voyage auquel j’invite tous les martiniquais, en raison des connivences que nous avons avec cette terre et son peuple. Nous sommes considérés au niveau génétique, comme étant originaire du Bénin à 50%. Pour moi, en tant que chercheuse, il était intéressant de faire le lien entre nos jeunes qui partent du pays et n’y reviennent pas et l’ensemble de nos problématiques, notamment climatiques. Qu’est-ce qu’on peut composer comme modèle sur notre territoire pour éviter cela ? Celui de Shongaï me parait être le modèle qu’on pourrait proposer en Martinique et en Guadeloupe car nos populations se ressemblent et sont liés historiquement par l’esclavage et par des problématiques de développement. Shongaï accompagne les jeunes béninois vers « l’agripreunariat ». Godfrey Nzamujo, son fondateur, a basé son projet sur la formation des jeunes à tous les métiers qu’on peut imaginer avec la nature. L’objectif est de créer un vivier de ressources humaines aligné sur des réalités socio-économiques. Il faut arrêter de préparer les jeunes aux métiers d’hier et les préparer aux problématiques d’aujourd’hui et de demain :la montée des eaux, comment enrayer les problématiques de santé à travers l’alimentation, comment vivre, travailler et entreprendre ensemble.

M2030 : Qui fait partie de cette aventure avec vous ?

Monette Marie-Louise : Dans cette démarche, nous avons un groupe d’acteurs très engagés dans l’agroécologie, la réflexion a débuté pendant le confinement. Je pense à la Maire de Fond Saint Denis, Annick Comier, qui a fondé son projet politique sur le lasotè et l’agriculture. Lasotè représente des valeurs en lien avec l’Afrique, cultiver la terre avec des valeurs de solidarité, dans le respect des ancêtres, d’ailleurs le coup de main fait partie des traditions africaines tropicalisées… Je pense aussi au Maire du Gros Morne, Gilbert Couturier, impliqué dans la culture des plantes anciennes et des plantes médicinales. Il a créé un jardin créole au sein de sa mairie… Il y a aussi la Maire de Morne Vert, Angèle Serbin, qui a décidé de prioriser les produits agricoles dans les cantines scolaires… Ces gens sont dans le concret, dans des postures politiques fortes, innovantes. On parle ici, sur ces communes du Nord, de grenier pour la Martinique. Le jour où une catastrophe majeure nous touchera, qui va donner à manger à la population martiniquaise ? On réfléchit à l’agriculture en anticipant sur les risques climatiques comme la montée des eaux. Le Prêcheur a perdu 200 m sur son littoral et réfléchit à déplacer sa population vers le haut. Cette commune est exposée à tous les risques majeurs et son Maire, Marcellin Nadeau qui est aussi député et Président de la commission écologie à la CTM, est très impliqué et partenaire du projet. Il a parlé de son arrêté zéro pesticide et de son projet alimentaire territorial. Au côté des politiques il y a une population engagée, les communes du Nord sont les plus engagées.

Quand on parle de souveraineté alimentaire, on sait que la Martinique est fragile, on a des problèmes avec les pesticides, on de graves problèmes d’eau, etc … Il faut repenser notre société à tous les niveaux et ensemble, comment on agit avec la nature ?

Et quand on parle de la nature, vient se poser le prisme de la spiritualité, on ne peut pas être dans cette démarche sans lien avec la spiritualité. Et nous avons des prêtres ici en Martinique qui sont dans l’action, sur le terrain. Prier c’est agir aussi, le diocèse est d’accord avec cette dynamique. Deux prêtres accompagnent le projet, Le Père Lafine, qui est engagé dans la réflexion agroalimentaire, il veut redynamiser les marchés locaux, et le Père Anderson qui veut renouer avec le monde rural. Tous ces gens se sont engagés dans la même réflexion, quel modèle pour la Martinique ? 

M2030 : Quel est votre parti pris ?

Monette Marie-Louise : On apporte finalement un projet œcuménique, on se met ensemble autour de ce projet Shongaï pour l’éveil et la convergence des consciences. Qu’est-ce qu’on fait ensemble avec la Guadeloupe par exemple pour nos territoires menacés par le changement climatique ? Nous avons organisé pendant le confinement, des webinaires très suivis, pour présenter le modèle Shongaï, et un autre sur les pesticides. Shongaï nous donne des pistes de réflexion. On parle de changer de manière structurelle, de manière globale nos fonctionnements, nous sommes dans une réflexion collective, on essaie de rassembler et surtout nous sommes dans une démarche scientifique.

M2030 : Le projet est-il déjà porté par une structure ?

Monette Marie-Louise : Nous avons créé EFEP-M, l’école supérieure d’études pluridisciplinaires de la Martinique, présidée par Maxime Mongin. Il y a une équipe pilote, un collectif qui tente d’apporter des réponses au territoire de manière humaniste. Un comité de pilotage spirituel, politique, et d’abord scientifique, se met en marche pour le projet.

M2030 : Quelles sont concrètement les prochaines étapes ?

Monette Marie-Louise : Le Professeur Godfrey NZAMUJO viendra rencontrer nos partenaires du 19 novembre au 10 décembre prochain. Il vient en Martinique pour une visite technique, une étude, organisée avec les acteurs dont j’ai parlé et la Chambre d’Agriculture. Nous allons fédérer et capitaliser ce qui existe sur le terrain, entreprendre ensemble, remettre des valeurs d’humanisme au centre de nos réflexions. Nous allons lui expliquer que nous désirons répliquer son modèle au Gros Morne. Car son modèle a vocation à être dupliqué sur d’autres territoires en Martinique et dans la Caraïbe…. On essaie de se reconnecter avec notre premier environnement, la Caraïbe. Gros Morne est le territoire que l’on a choisi pour répliquer. Nous appellerons cette première ferme, « Jaden limanité ». Le professeur va rencontrer des agriculteurs, pour parler de résilience alimentaire dans les communes, les greniers que nous avons. Il va rencontrer de jeunes agriculteurs autour du thème de l’aménagement du territoire, il va se nourrir de la vision des jeunes pour son étude. Il y aura des conférences tout publics pour éveiller les consciences. Nous sommes dans le nord mais il faut éveiller tout le territoire ! Nous parlerons d’écologie humaine. Quand le système d’Habitation a disparu, les ouvriers ont ramené leurs jardins de résistance. A présent, on est en train de tourner en rond et il n’y a plus de connections entre les gens…Les gens qui sont en souffrance et isolés, regardent le modèle Shongaï… Remettons en place les jardins de résistance et avant de proposer d’autres modèles « à la mode », recentrons-nous sur nos racines béninoises. Le Professeur va nous accompagner dans le processus et l’équipe va concrétiser son étude. Notre objectif de départ est de remettre l’humain au centre du projet. Shongai est dans la transmission, il faut absolument se reconnecter avec ces valeurs-là.

M2030 : Qu’en est-il des financements de ce projet ?

Monette Marie-Louise : Beaucoup nous suivent, il y a l’association 3ED et le Salon Valora, Air France, Cap Nord, l’association du diocèse qui a en charge de sensibiliser les gens au sein de l’Eglise, les entreprises sont sollicitées, Il faut faire quelque chose de solidaire au niveau sociétal. Nous comptons sur la population martiniquaise. Nous proposons un changement de paradigme, nous avons besoin d’espoir dans l’humanité et dans la spiritualité. Pour l’instant je suis la seule martiniquaise à connaître le centre Shongaï, nous organisons une délégation pour aller découvrir Shongaï au Bénin, de l’intérieur. On ne s’enferme pas dans un modèle on s’en inspire pour créer le nôtre.

Propos recueillis par Nathalie Laulé

Inscriptions à la conference de Godfrey Nzamujo, c’est par ici!

Qu’est-ce que le modèle Shongaï?

Le centre Shongaï est un centre de formation et de production agricole, agroécologique, fondé en 1985, au Bénin, par Godfrey Nzamujo. Prêtre dominicain et professeur d’université en électronique-informatique aux Etats-Unis, né au Nigéria. C’est aidé par un groupe d’amis Africains partageant la même vision d’une Afrique digne et prospère, que Godfrey Nzamujo, ouvre cette première «ferme mère» à Porto-Novo. Le Centre Songhaï est ainsi créé, empruntant son nom à l’Empire Songhaï, puissant et florissant empire ouest-africain du XVème siècle, pour inspirer aux membres, la fierté et l’espoir d’une Afrique digne et prospère. Les Songhaïs sont un ancien peuple vivant principalement du travail de la terre et de l’artisanat. Ils constituaient un groupe ethnique important.

Trente années après sa création, le centre Songhaï de Porto-Novo, s’étend sur plus de 22 ha. Il représente une vaste ferme de production bio, mettant en œuvre un modèle de fonctionnement intégré. Les principales activités menées dans ce modèle, répliqué dans d’autres localités du pays et certains pays africains, sont la production agricole et animale, la transformation agro-alimentaire et la formation. Le modèle de ferme déployé au centre Songhaï fonctionne en totale autonomie. Il permet d’obtenir des rendements bien supérieurs à ceux atteints grâce aux engrais chimiques et aux pesticides. Les productions de la ferme proviennent de lagriculture, de laviculture, de la pisciculture, et de la production d’engrais. Les différents produits sont transformés sur site.

Depuis 1989, le centre Songhaï recrute pour ses cursus de formation de fermier-entrepreneur, des stagiaires nationaux pour lesquels la formation est gratuite, et des stagiaires internationaux pour lesquels la formation est payante. Les formations dispensées permettent aux stagiaires de maîtriser les techniques de production développées à la ferme du centre, et d’acquérir des compétences en gestion de ferme.

Chaque année, 320 stagiaires sont recrutés, et 550 ressortissants africains accueillis pendant 3 à 6 mois pour des formations en gestion de ferme et en nouvelles techniques agricoles.

À la suite de la création, en 1993, du réseau des fermiers Songhaï et de l’Association Songhaï – France à Lyon, un projet de réplication du modèle Songhaï dans une quinzaine de pays africains est lancé, avec le soutien du PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement). En 2008, le centre Songhaï est promu Centre d’Excellence régional pour l’Afrique par les Nations Unies.

 

 

 

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