POINT FORT

ODYSSI : Gestion publique, gestion privée de l’eau

L’eau étant un bien commun, je fais le choix de la gestion publique de celle-ci

Monsieur Yvon Pacquit, président du Conseil d’administration d’Odyssi, régie communautaire de l’eau et l’assainissement de la CACEM, présente la structure dont il a la charge. Il revient sur les spécificités juridictionnelles de celle-ci, puis nous livre, plus précisément, les différentes attributions de l’établissement, les enjeux poursuivis par celui-ci.

Vous décrivez ODYSSI comme une régie communautaire de la conurbation Schœlcher, Fort-de-France, Lamentin, Saint-Joseph, soit l’agglomération centre. Pouvez-vous revenir précisément sur les spécificités de ce statut juridique ?

ODYSSI relève d’un mode de gestion que l’on nomme « la Régie ». En fait, lorsqu’une collectivité possède une compétence, elle dispose d’une alternative pour l’exercer : soit elle s’en acquitte elle-même, soit une structure externe la met en œuvre. La CACEM a opté pour la deuxième solution : Odyssi, est bien une structure externe de la CACEM, une régie, dédiée à la compétence Eau. Pour résumer son fonctionnement : on peut dire que c’est un organe public qui fonctionne comme une entreprise privée. Autrement dit, la collectivité qui s’occupe de la tutelle du service n’a pas besoin de lancer un marché public pour confier la compétence à sa régie. Cette régie a son budget propre et intervient sur trois volets : la gestion de l’eau, l’assainissement collectif (les réseaux d’égouts), et l’assainissement non-collectif (fosses septiques, fosses toutes eaux suivies du dispositif d’épandage). Odyssi possède la personnalité morale, c’est-à-dire qu’elle peut instruire en justice. L’institution dispose aussi de son propre budget et de son Conseil d’Administration. Ce dernier est composé, d’une part, des élus de la CACEM qui sont majoritaires, d’autre part, de personnalités qualifiées, de services comme ceux de l’ODE, du Comité de Bassin (actuellement Agence de la Biodiversité), de services de l’Etat par le biais de la DEAL et aussi de représentants des consommateurs. A Odyssi, Etablissement Public à caractère Industriel et Commercial (EPIC), Le Directeur Général est nommé par le président de la CACEM, collectivité de tutelle. Dans ce type d’établissement, seuls le Directeur Général et le comptable sont des fonctionnaires, le reste du personnel relève en principe du droit privé. L’institution d’une régie relève donc d’une volonté de faire soit même.

Ce n’est pas seulement dans l’eau qu’une entreprise privée assure un service public. Une clinique par exemple est un établissement privé, mais assure un service public de Santé.

Quelles sont les raisons de ce choix ? Relève-t-il d’un choix politique implicite ?

La CACEM aurait pu choisir le mode de gestion qui s’intitule « affermage ». En fait, il s’agit d’une délégation de service public ; c’est-à-dire qu’elle aurait pu confier à une entreprise privée, suite à un appel d’offres, la gestion de l’eau et de l’assainissement. La CACEM n’a pas opté pour ce mode de gestion. Elle a préféré instituer une régie qui relève en effet d’une volonté de faire soit-même. Oui nous posons la question de l’eau comme relevant d’un choix politique. Ce choix remonte à bien longtemps. Avant d’être régie communautaire de la CACEM, c’était la régie autonome de l’eau de la ville de Fort-de-France. Quand Césaire est arrivé à la mairie après la guerre, en 1945-46, il a fait un choix politique et a dit : « l’eau étant un bien commun, je fais le choix de la gestion publique de celle-ci», ce qui fut fait avec la création de la régie de l’eau de Fort-de-France. C’était d’abord la régie autonome de la ville, par la suite la structure a évolué et est devenue une régie avec la personnalité morale. C’est en 2004 que la compétence eau a été transférée à la CACEM et une régie communautaire est née. Actuellement l’eau est gérée sur les 4 communes du centre de la Martinique par ODYSSI. Notons tout de même que toutes les autres communes de la Martinique sont gérées dans le cadre d’une délégation de service public. C’est en effet des entreprises privées qui assurent la gestion de ce service sur les autres communes de la Martinique.

Quels sont les avantages à être « régie » en termes d’efficacité économique ? Que vous apporte ce choix par rapport à celui fait par les autres communes de l’île ?

Ce n’est pas seulement dans l’eau qu’une entreprise privée assure un service public. Une clinique par exemple est un établissement privé, mais assure un service public de Santé. Le postulat sur lequel repose le choix d’Aimé Césaire, poursuivi par la CACEM est le suivant : « l’eau est un bien commun, un bien public indispensable à la vie. A ce titre, doit en découler un mode de gestion publique». Ce choix politique rappelle que le domaine de l’eau, indépendant des exigences commerciales, est un « bien commun ». Cela veut dire qu’il n’y a pas à faire de bénéfices sur l’eau, les excédents sont réinvestis. Il n’y a donc pas de dividendes à redistribuer contrairement à la vocation d’une entreprise privée. Cela ne signifie pas que la gestion publique est meilleure que la gestion privée. En effet, dans le privé comme dans le secteur public, les professionnels travaillent pour avoir un niveau compétitif de performances. Toutefois, philosophiquement et politiquement nous nous disons que l’eau est un bien commun et non un facteur de dividendes pour des actionnaires. Le passage de la régie de Fort-de-France à celle de la CACEM indique un changement d’échelle de gestion.

Comment se répercute ce changement en termes de marge de manœuvre interne, réduction des coûts d’exploitation pour la régie communautaire ?

Oui, il y a ce que l’on appelle la notion d’échelle. Il y a des frais de structures auxquels vous devez faire face quand vous investissez. Pour rentabiliser la structure, il faut élargir le périmètre d’intervention. Donc la même structure Odyssi, travaillant seulement pour Fort-de-France, sera beaucoup moins performante que si elle travaille pour quatre communes. Car lorsque vous élargissez votre périmètre, cela ne se traduit pas nécessairement par une multiplication de vos effectifs, mais vous amortissez vos frais de structures sur un périmètre de clientèle beaucoup plus large. Pour nous, le fait d’avoir ce périmètre d’exploitation portant sur les quatre communes de la CACEM, permet de travailler à une échelle plus importante, et avoir une meilleure maîtrise des charges. Il s’agit de réunir les conditions pour avoir des prix qui soient abordables pour la clientèle, une meilleure maîtrise du prix de revient, et donc du prix final. Nous fonctionnons comme une entreprise privée, cela signifie que nous avons l’obligation, le sentiment, la volonté, de maîtriser le prix de revient, comme le ferait n’importe quelle entreprise privée. Rappelons que l’essentiel de l’effectif d’ODYSSI est constitué d’agents de droit privé.

L’action Odyssi s’appuie-t-elle en amont sur une réflexion transversale relative à la politique de l’eau en général sur l’ensemble de la région ?

Revenons d’abord sur les différentes structures qui gèrent l’eau sur le territoire Martiniquais. Il y a d’abord, le Plan Eau Dom, qui vient d’être mis en place. C’est en fait, une conférence des acteurs. Vous y retrouvez la Caisse des Dépôts et Consignations, l’Agence Française de Développement, l’Agence Française pour la biodiversité, la CTM, un certains nombres de structures. Elles font des arbitrages concernant les projets à retenir pour les financer. Il y a aussi le Parlement de l’eau, c’est le Comité de Bassin (devenu Agence de la Biodiversité). C’est en son sein que les grandes orientations concernant la gestion sont prises. Vous avez aussi, le Schéma Départemental de l’Eau, géré au niveau de la CTM, qui définit ses orientations pour l’ensemble du territoire. Ce sont des choix politiques d’orientations générales. Et puis, en dessous vous avez trois acteurs qui assurent la gestion de la compétence de l’eau : l’Espace Sud, la CACEM et Cap Nord. Ces trois Communautés d’Agglomération ont la compétence Eau et Assainissement respectivement dans le sud, le centre et le nord de la Martinique. Dans notre gestion nous tenons compte des orientations générales. Toutefois pour l’heure, il n’y a pas de gestion coordonnée de la ressource eau en Martinique : Chaque instance gère à son échelle.

Peut-on espérer dans un futur plus ou moins lointain, que l’on puisse dégrossir encore l’échelle décisionnelle pour arriver à une gestion, une logistique régionale de l’eau ?

C’est déjà un grand progrès, d’être arrivé à une échelle communautaire. Chaque commune avait son schéma d’assainissement, son schéma d’eau ; le fait d’avoir remonté la compétence au niveau de la Communauté d’Agglomération, c’est déjà un grand pas. Dans l’avenir, remonter les politiques d’investissement de l’ensemble de la Martinique, cela serait encore un plus grand progrès. Une coordination entre les trois acteurs pourrait faciliter des accords pour les politiques d’investissement, les politiques d’entretien et tarifaires, sur l’ensemble de la Martinique. Nous sommes actuellement dans cette dynamique qui consiste à se dire : comment faire pour optimiser les ressources disponibles pour que nous puissions, in fine, avoir des prix de sortie qui soient les plus faibles possible. Toujours en gardant en tête l’intérêt des consommateurs et des usagers.

Concernant la problématique du développement durable, c’est dans le sens d’un périmètre plus large de mise en œuvre des politiques, que vous voulez aller ?

Oui nous voulons une politique de l’eau plus régionale et plus volontaire. A ce titre là, j’ai pris un certain nombre d’initiatives. Au niveau hexagonal, Odyssi a été pionnier pour l’essor de la gestion publique : Par exemple, avec la FNCCR (Fédération Nationale des Collectivités Concédantes et des Régies) qui fédère toutes les collectivités, notamment pour la gestion des services locaux, comme l’eau, l’environnement, l’électricité, le numérique, en ma qualité de membre du conseil d’administration de cette structure nationale j’ai contribué à créer, France Eau Publique. Cette entité a pour mission de valoriser et d’assurer la promotion de la gestion publique de l’eau. Notre implication s’est faite également au niveau européen, puisque nous adhérons à Aqua Républica Europea, fédération européenne dans laquelle siègent plusieurs villes européennes. Ensemble, nous faisons la promotion de la gestion publique de l’eau au niveau européen. La ville de Paris et de Nice par exemple qui étaient en gestion privée, ont opté pour la gestion publique il y a moins de dix ans pour l’une et de cinq ans pour l’autre. Nous relevons d’un mouvement qui a pour objectif de faire en sorte que l’eau soit gérée dans le cadre d’une gestion publique considérant que c’est un bien commun.

Avez-vous les moyens aujourd’hui d’évaluer l’efficacité de cette gestion publique de l’eau ?

D’autres l’ont fait ! D’autres régions, d’autres départements, d’autres villes comme Paris par exemple sont en mesure statistiquement de faire des différences (ils ont fait le pas depuis 10 ans). En Martinique, nous n’avons pas suffisamment d’éléments pour faire la différence, car on a toujours fonctionné en gestion publique. On peut se comparer à ceux qui fonctionnent en gestion privée. Une gestion privée est considérée comme étant beaucoup plus rigoureuse sur les coûts. Ils diront : « nous sommes plus performants en nombre d’agents pour faire un travail. Le public a tendance à avoir davantage de monde. Donc ça coûte plus cher». Très sincèrement, si on compare la gestion d’une usine de production, d’une station, nous utilisons pour l’heure plus de personnes pour le fonctionnement de ces unités que le privé. Au niveau du territoire que nous gérons, on voit bien que nous avons plus d’effectif qu’une entreprise comme la SME. En matière de charge de personnel, le privé est plus performant que nous. Par ailleurs, le privé a plus de possibilités pour les investissements lourds.

Au niveau du secteur public, il faut chercher des subventions : La réalisation des investissements peut être moins rapide. Mais les avantages d’une gestion publique sont importants :

  • La maîtrise de l’effet environnemental : Avec la gestion publique, pas de dividendes à redistribuer. Les choix seront plus proches du bien commun.
  • Comme il n’y a pas d’actionnaire à rémunérer, les résultats sont réinvestis dans l’amélioration continue des services et la tendance à vouloir augmenter les prix est moindre. Nous n’avons pas d’actionnaires à satisfaire.
  • L’attention sur la qualité de l’eau est réelle, quitte à dépenser un peu plus. A Odyssi, l’eau est d’excellente qualité même si ça nous coûte un petit peu plus cher. On fait de la Sur-qualité car on n’a pas de contrainte de bénéfices. Des paquebots de croisière choisissent la destination Martinique pour faire le plein en eau. Notre eau a la réputation d’être une eau de grande qualité. A un moment donné nous étions l’une des eaux la mieux classée de France. Nous allons au-delà des exigences réglementaires, c’est encore une différence avec le privé. La gestion publique pour nous c’est la qualité, c’est la formation des agents, le côté humain a toute sa place. Dans le privé l’objectif est de dégager le maximum de marge.

Vous valorisez dans cette même mouvance toute une série d’éco-gestes quels sont-ils ?

Nous sommes en gestion publique. Nous avons comme obligation de travailler dans le sens de la protection de l’environnement. Les prélèvements d’eau dans les rivières n’iront pas au-delà du nécessaire pour que les écosystèmes gardent leur équilibre. C’est pareil, pour les réseaux d’assainissement, on va s’assurer qu’ils fonctionnent bien, que leurs étanchéités soient bonnes. Il y a une préoccupation, disons publique, pour la santé des usagers, car nous avons une compétence en eau et également une compétence en environnement.

Propos recueillis par Leïla Gonier

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