POINT FORT

Guillaume Viscardi et Stéphanie Saint-Aimé du Conservatoire Botanique de Martinique

Le patrimoine végétal naturel de la Martinique est très riche avec un endémisme important ainsi que des écosystèmes insulaires originaux hautement diversifiés. Ce patrimoine naturel d’exception est de nos jours vulnérable et menacé. Le Conservatoire Botanique de Martinique mène de nombreuses actions pour préserver les espèces en danger. Rencontre avec Guillaume Viscardi, directeur et Stéphanie Saint-Aimé, chargée de mission conservation.

Quel est le but du conservatoire de botanique de Martinique ?

C’est une association dont l’objet principal est la connaissance et la préservation de la flore et des habitats menacés de la Martinique.

Quels types d’actions menez-vous ?

Nous menons des actions de conservation au niveau de la flore menacée de Martinique. Nous avons des serres qui sont hébergés sur des terrains de la mairie de Fort-de-France à Godissard, nous les utilisons pour reproduire des espèces menacées.

Là nous venons de terminer la rédaction de plan directeur de conservation, ce sont des documents qui permettent de faire le bilan de la situation conservatoire d’une espèce sur le territoire de la Martinique et de mettre en place des plans d’actions pour améliorer la situation de cette espèce.  Généralement, dans les actions à mettre en place il y a plusieurs étapes : récolter des graines ou des boutures sur le terrain, les multiplier, renforcer les populations…

Nous informons et  éduquons également le public à la connaissance et à la préservation de la diversité végétale.

Au niveau des publics scolaires, nous faisons de l’éducation à l’environnement, là on va commencer un programme d’arboretum pédagogique avec une école de l’Ermitage. C’est-à-dire installer dans les écoles de petits arboretums avec quelques arbres indigènes ou endémiques de Martinique pour pouvoir sensibiliser les élèves à la préservation de cette biodiversité qui en général n’est pas très bien connue.

Vous avez également un herbier…

Oui, nous avons un herbier c’est une collection de plantes séchées dans des feuilles de papiers qui ont pour objectif premier de faire l’identification et la détermination d’une espèce. On a un total de 2 500 plantes classés, c’est une collection que nous avons réalisé en partie grâce à des legs des différents botanistes ayant travaillé sur l’île, mais aussi lors des travaux d’inventaire de terrain réalisé par le Conservatoire Botanique de Martinique . On a l’ambition de le développer.

Quelles sont les espèces menacées en ce moment en Martinique ?

Il existe un ouvrage qui les a recensé qui a été produit en 2014 par l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) et par les spécialistes locaux. Pour l’instant, il y a environ 117 espèces considérées comme menacées en Martinique, selon les critères de l’UICN. Parmi ces espèces, l’un des plus connus c’est le bois enivrant, car c’était une espèce utilisée avant par les amérindiens pour pêcher le poisson. C’est une espèce qui a gravement régressé en Martinique et qui est considéré comme en danger.

Là on a récolté des semences, pour mettre une trentaine en culture qu’on pourra plus tard réimplanter sur le terrain où cette espèce est menacée.

On a également le gaïac qui est en danger critique d’extinction. Il n’existe plus que deux stations naturelles. Nous en avons fait des collections conservatoires en pépinière pour éviter sa disparition.

On a récemment remporté un appel à projet BEST RUP, qui va nous permettre d’aller créer des collections conservatoires pour une dizaine d’espèces contenue dans le livre rouge des plantes menacées de la Martinique.

Quelles sont les différents niveaux de menaces ?

Le premier niveau c’est en danger critique d’extinction, pour les espèces dont on ne retrouve plus qu’une ou deux stations et dont l’habitat est très menacé. Ensuite, en dessous on a en danger, ce sont des espèces qui risquent vraiment de disparaitre, puis on a vulnérable.

On a d’autres niveaux pour les espèces qui ne sont pas menacées, mais qu’il faut surveiller et pour lesquelles il faut agir pour qu’elles ne montent pas au niveau vulnérable ou en danger.

Pourquoi les espèces sont-elles menacées ?

Principalement, c’est à cause de la surexploitation comme pour le gaïac fortement utilisé pour la qualité de son bois. On a beaucoup d’arbres qui se sont raréfiés, en Martinique on a 400 espèces d’arbres et l’ile a toujours été réputée pour le bois qu’elle possédait. Autrefois les bateaux s’arrêtaient au large pour effectuer des réparations. On a certains arbres qui ont disparu faute de régénération suffisante.

La destruction des habitats également constitue une menace, je prends l’exemple de la forêt mésophile qui est la forêt la plus riche en Martinique. Malheureusement, l’altitude l’étage à laquelle elle pousse, c’est celui où s’est développé toutes les cultures  coloniales, où ce sont développés toutes les villes, toute l’activité humaine durant quasiment 300 ans. On a même des types de foret dont on a plus un seul vestige, on ne sait même pas à quoi ça ressemblait comme les forets qui pouvaient y avoir dans la plaine du Lamentin.

Il y a également le changement climatique, qui peut faire disparaitre des espèces qui n’étaient pas menacées par l’homme. Je prends l’exemple de toutes les végétations qui sont sur les crêtes, sur les pitons, les sommets, où se trouve la plupart de nos espèces endémiques. Ce sont des végétations qui sont généralement baignées dans les nuages en permanence et avec le réchauffement climatique on assiste à une remontée de cette couche de nuage et du coup ces espèces dont la vie dépend des nuages vont soit remonter ou disparaitre.

On a aussi le problème des cyclones qui peuvent entrainer de la houle et faire disparaitre des espèces proches de la côte.

Est-ce que vous travaillez avec d’autres partenaires ?

Bien sûr, on a des partenaires locaux l’Office Nationale des Forêts, le Parc Naturel de Martinique, le Conservatoire du littoral, la Collectivité Territoriale de Martinique, la DEAL, les Communautés d’Agglomérations et la Ville de Fort-de-France. Notre activité principale étant la conservation, nous avons besoin de partenaire, car nous ne sommes pas gestionnaire d’espace naturel. Ils nous font remonter un certain nombre d’information et nous pouvons les conseiller.

Quels sont vos projets ?

Notre but, c’est d’obtenir bientôt l’agrément conservatoire botanique national qui nous permettra d’avoir plus de moyens notamment au niveau financier. Nous pourrons ainsi développer nos projets. Nous voulons poursuivre le développement de notre base de données et souhaitons nous lancer dans l’étude et la description des habitats. A terme, un de nos buts est par exemple de mettre à jour la cartographie de végétation de la Martinique. L’objectif est vraiment d’améliorer la connaissance et la situation conservatoire des espèces en Martinique.

Propos recueillis par Kaylan FAGOUR

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