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Fabrice Richard, gérant et créateur de la Lunetterie

En 2013, Fabrice Richard a repris un magasin de lunette en appliquant les principes de l’économie sociale et solidaire, qui veut que la richesse soit mieux répartie entre l’ensemble des acteurs. Un pari qui s’avère gagnant aujourd’hui avec le développement d’une chaine de bientôt 4 magasins proposant des lunettes de qualités et pas chers. Echange avec un patron qui a une vision différente de l’économie conciliant solidarité, utilité sociale et performance économique.

Pourquoi avoir fait ce choix ?

C’est un concept qui est né de la synthèse du marché d’il y a 4 ou 5 ans, le pouvoir d’achat baissait et même si les prix étaient convenables, ils étaient en décrochage par rapport au pouvoir d’achat des gens. Le besoin de voir étant fondamental, il était nécessaire de modifier la façon de voir le marché, de faire une rupture pour donner accès à des produits ayant un bon rapport qualité-prix, mais pas discount. Nous considérons que les besoins en optique ne sont pas des besoins accessoires, ce ne sont pas des produits classiques de marché fait pour réaliser du bénéfice. Nos clients ce sont des patients et il faut avoir une proximité avec eux.

Comment avez-vous procédé ?

On a joué de chance, car je ne suis pas un grand grec. J’ai tiré des grandes lignes et essayé de me tenir à certains principes.

La première grande ligne a été de baisser les prix de 30% en moyenne globalement (monture et verre) et pour coller avec le cadre de l’économie sociale et solidaire après quelques mois on a augmenté les salaires d’environ 25%, aujourd’hui on est à 30-40% d’augmentation des salaires sur 3-4 ans.

Nous considérons que la richesse est plafonnée, nous répartissons les richesses différemment au sein de l’entreprise. Cela permet d’être mieux, mais ce n’est pas encore suffisant, mes salariés auraient certainement besoin de plus. Cependant, on va petit a petit et notre concept répond à la demande du patient c’est-à-dire des produits de très bonnes qualités à un tarif tout à fait abordable. On est sur des tarifs internationaux souvent moins chers qu’en France hexagonale. Le rapport qualité-prix est vraiment très bon.

L’entreprise est très peu rentable, mais on paye nos factures, ce qui nous permet de nous développer. Nous travaillons sur l’ouverture d’un 4ème magasin qui devrait ouvrir en octobre à Rivière-Salée si tout se passe bien. La limite du concept, c’est que quand vous avez une marge restreinte, vous avez moins de marge de manœuvre et donc moins d’argent pour communiquer, pour investir dans des produits, matériels ou concepts novateurs. Aujourd’hui 100% de ce qui est produit sert au développement, le résultat final en terme de bénéfice est restreint. En réalité, notre objectif, n’est pas d’avoir une rentabilité à 15%, mais d’avoir une rentabilité à 3-4%, elle est symbolique. La rentabilité est nécessaire, mais a 15% cela signifie qu’on a un échange qui est déséquilibré et qu’il y a quelqu’un qui est perdant soit le producteur qui a été spolié sur ses produits, soit vous avez un produit qui va dégrader l’environnement par exemple. La rentabilité est nécessaire pour rassurer la banque, avoir une marge de manœuvre et une société saine.

Comment ont réagi vos clients ?

Ils réagissent positivement et sont satisfaits. Tous les clients n’ont pas compris la philosophie de l’entreprise, mais ils ont tous compris que les prix étaient intéressants et le service correcte. L’idée est de donner accès à des produits de bonnes qualités à un prix raisonnable. On ne regarde pas leur portefeuille quand ils arrivent, on s’occupe de leurs besoins, ils sont bien prises en charges.

Est-ce que vous avez rencontré des difficultés particulières ?

Oui la première c’est qu’il fallait trouver une banque qui puisse comprendre l’idée. C’est le Crédit Mutuel qui nous a fait confiance. C’est une banque qui a compris l’intérêt du concept et pris un risque en acceptant. Il y a 5 ans ce n’était pas si évident de nous financer.

En parallèle, il y avait toute l’idée de créer un réseau de soin où on fait un examen de vue et où on va travailler comme des auxiliaires médicaux pour les ophtalmologues, où on va dépister des pathologies et réorienter des gens qui sont sorties du système médicale vers des médecins. Ce développement-là aussi c’était un gros pari, en 2013 nous étions les premiers à le faire et on s’est fait un peu crié dessus par certains médecins qui ne voyaient pas cela d’un bon oeil et qui ont eu du mal à comprendre que ce n’était pas contre eux, mais avec eux.

Après, on a eu des soucis, car notre environnement n’est pas dans l’économie sociale et solidaire, il est fait de personnes qui veulent de la rentabilité, nous payons les mêmes factures que les autres, il faut faire face à ces charges-là y compris sociales. Il faut essayer d’être le plus efficace possible dans la gestion surtout qu’on s’est développé très vite sur un marché qui est très tendu. On est passé de 500 000 euros de chiffres d’affaires en 2013 à plus de 2 millions d’euros aujourd’hui. Au niveau des salariés nous étions 4 ou 5 en 2013, on est passé à 14 aujourd’hui et on devrait être 19 d’ici la fin de l’année

Ce n’était pas évident pour moi de gérer une croissance comme ça, car à titre personnel et professionnel c’était très compliqué, il faut être sur tous les fronts.

Aujourd’hui on est assez content, car on répond réellement à la demande, on est plus stable que certains magasins d’optiques sur le secteur. C’est un secteur qui doit logiquement se médicaliser de plus en plus.

Pour conclure, quels conseille donneriez-vous à une entreprise qui voudrait tendre vers ce système ?

Déjà c’est d’essayer, car il faut d’abord changer les idées préconçues de rentabilité élevée. Cela demande beaucoup de travail, les deux premières années, j’ai beaucoup travaillé le dimanche. Il faut savoir qu’il y a des sacrifices, car il va falloir compenser la perte de marge par un travail plus important et ça ne se fait pas forcément avec les salariés.

Il faut être patient et courageux, l’équilibre n’est pas forcément pour tout de suite, mais pour dans 2 ou 3 ans. On a tout intérêt à essayer d’autres voies, car les schémas classiques il y en a plein qui sont voués à mourir. L’économie sociale réponds à l’aspiration d’énormément de pans de l’économie, même dans l’alimentation. Pourquoi ne pas penser un supermarché qui appartiendrait aux clients. L’alimentation est un secteur où on pourrait applique l’économie sociale et solidaire.

Propos recueillis par Kaylan Fagour

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