Biodiversité principal

Négociations climatiques : les enjeux de la COP 23 qui s’ouvre ce lundi 6 novembre à Bonn

Par Claire Avignon , Claire Stam

La COP 23 s’ouvre lundi 6 novembre 2017 à Bonn (Allemagne) et se poursuivra officiellement jusqu’au 17 novembre 2017. La présidence des îles Fidji y annoncera le lancement d’un processus de dialogue dit de “Talanoa” qui encadrera le dialogue de facilitation prévu pour aboutir à une ambition accrue des parties à l’accord de Paris en 2018. Ce dialogue, qui se veut inclusif et ouvert, fera une large place aux acteurs non-étatiques et à leur agenda de l’action, et devrait aborder la question sensible des pertes et dommages. Les 197 parties à la convention climat avanceront également sur les règles de mise en œuvre de l’accord de Paris qui devront être officiellement adoptées à la COP 24 de Katowice, en décembre 2018.

CcnuccLa COP 23 ne sera pas une simple COP technique avant la COP 24, elle sera un “moment de vérité”, selon les termes employés par Pierre Cannet, responsable du programme climat et énergie du WWF France, jeudi 2 novembre 2017 : “La COP 22 a été le stress test de l’accord de Paris. Malgré l’élection de Donald Trump, le château de cartes ne s’est pas écroulé. La COP 23 sera, elle, le moment de vérité : les pays devront montrer qu’ils veulent aligner leur ambition sur l’accord de Paris et dire comment ils envisagent l’année 2018. Ils ne pourront plus se cacher derrière Trump.”

DÉBUT DE L’AMPLIFICATION DES EFFORTS

Même son de cloche pour Lucile Dufour, responsable en charge des négociations internationales et du développement au Réseau action climat, qui qualifie la quinzaine qui s’ouvre d'”essentielle” : “Elle doit semer les graines de l’amplification des efforts dès 2018 et au-delà. Les pays ne peuvent pas se permettre de rater le coche s’ils veulent récolter le fruit de leur travail l’année prochaine. La COP 23 s’ouvre après une année marquée par des événements météorologiques extrêmes largement médiatisés. On a vu que les impacts sont là, ils sont tangibles.” Elle ajoute : “Tous les acteurs ont défendu l’accord de Paris et les États-Unis se sont retrouvés isolés, comme au G7 et au G20. Cette défense a bien fonctionné mais maintenant, nous avons besoin d’un leadership et nous appelons les États à se réveiller.”

Cet appel est entendu par la délégation française qui se dit “consciente” que les parties, y compris l’UE, ne sont pas “toujours cohérentes” avec l’accord de Paris. Le gouvernement pousse notamment à l’adoption de l’objectif de “neutralité carbone” au sein de l’UE. Objectif qu’il a adopté à l’échelle nationale dans le cadre de son plan climat présenté en juillet dernier.

DIALOGUE DE TALANOA

Du point de vue de la Ccnucc, la COP 23 correspond au lancement de la phase préparatoire du dialogue de facilitation, selon une note informelle préparée par les présidences de la COP 22 et de la COP 23 publiée le 1er novembre. Celle-ci explique ce qu’est le “dialogue de Talanoa” et présente dans une infographie les différentes échéances jusqu’à la COP 24, dont le sommet “one planet” organisé par Emmanuel Macron en décembre 2017.

COP 22 et COP 23La COP 23 doit aussi avancer sur les règles de mise en œuvre de l’accord de Paris, avec de nombreux aspects à régler dont l’harmonisation des contributions nationales, les règles de communication sur l’adaptation, le système de rapportage, le contenu du bilan mondial attendu pour la première fois en 2023 et qui vise à relever l’ambition des parties tous les cinq ans, la méthodologie de suivi des financements, les transferts de technologie ou encore les “mesures de riposte” qui doivent traiter les éventuels effets économiques et sociaux négatifs (notamment pour les pays producteurs d’énergies fossiles), etc.

PERTES ET DOMMAGES

Gestion des risques, de quoi parle-t-on ?

De gérer le poids financier des impacts climatiques dits lents comme la salinisation des terres agricoles (quand l’eau s’évapore, les sels restent dans le sol) ou la montée des eaux qui affectent les terres fertiles des littoraux. Ces phénomènes menacent tout particulièrement le secteur agricole, principale source de revenus dans les pays en développement. On parle aussi du poids financier des impacts climatiques imprévisibles et soudains comme les ouragans ou les inondations. Dans tous les cas de figure, il s’agit d’événements météorologiques provoquant des pertes et dommages qualifiés d’irréversibles et ne rentrent donc pas dans les catégories adaptation et atténuation, qui suivent le principe de prévention.

Mais au-delà de ces aspects “techniques”, la COP de Bonn sera aussi “politique”, avec la volonté des ONG et de certains pays d’obtenir des avancées sur le sujet des pertes et préjudices, qui oppose les pays du Sud, principales victimes du réchauffement climatique, à ceux du Nord, principaux responsables du réchauffement. “C’est la première fois qu’un État aussi vulnérable au réchauffement climatique prend la présidence d’une COP, ce qui explique pourquoi les îles Fidji vont placer le mécanisme des pertes et dommages parmi leurs grandes priorités”, observe Lucile Dufour. “Il y a un sens de l’urgence.”

Formalisé en 2013 lors de la COP 19 à Varsovie (Pologne), le mécanisme des pertes et dommages (ou pertes et préjudices) a été intégré dans l’accord de Paris via l’article 8, avec des clauses spécifiques dans le projet de décision (clauses 48 à 52). L’objectif des ONG environnementales et des pays en développement est d’en faire le “troisième pilier de l’action climatique aux côtés de la réduction des gaz à effet de serre et de l’adaptation aux dérèglements climatiques”, explique à AEF Fanny Petitbon, responsable plaidoyer à l’ONG Care.

Un organe décisionnel, Excom ou comité exécutif du Mécanisme international de Varsovie, a été créé en 2013 et a commencé ses travaux fin 2015. Il est composé de 10 États représentant les pays développés et de 10 États représentant les pays émergents, soit deux pour le continent africain, deux pour la région Asie-Pacifique, deux pour l’Amérique du Sud et les Caraïbes, deux pour les pays les moins avancés, un pour les petits États insulaires et un pour le Népal. Il est dirigé par deux coprésidents représentant un pays émergent et un pays développé.

Selon les termes de l’accord de Paris, Excom est en charge de “créer un centre d’échange d’informations sur les transferts des risques qui puisse servir de source centrale de données sur l’assurance et le transfert des risques de façon à faciliter les efforts déployés par les Parties pour mettre au point et appliquer des stratégies globales de gestion des risques”. Il devrait présenter au cours de la COP un plan de travail pour les cinq prochaines années.

50 MILLIARDS DE DOLLARS PAR AN JUSQU’EN 2022

Pour financer ce mécanisme, les ONG réclament 50 milliards de dollars par an jusqu’en 2022, à parité avec l’atténuation et l’adaptation qui doivent bénéficier de 100 milliards de dollars par an à compter de 2020 (1). Elles proposent pour cela la création de taxes basées sur le principe pollueur-payeur, comme une taxe sur les transports maritimes et/ou sur le transport aérien. Les revenus issus de ces prélèvements serviraient à financer les victimes des événements météorologiques liés au réchauffement climatique. Un des modèles de financement envisagé est celui des assurances. “La question du financement des pertes et dommages n’a pas encore été abordée de manière précise jusqu’à présent et elle devrait faire l’objet de négociations à Bonn”, indique Fanny Petitbon.

Interrogé sur le sujet, la délégation française insiste pour sa part sur la nécessité de mettre en œuvre des “projets concrets” comme le dispositif Crews visant à augmenter les capacités de systèmes d’alerte précoce aux catastrophes du climat dans les pays pauvres et vulnérables ou l’annonce par l’Allemagne d’un mécanisme assurantiel pour les pays en développement (lire sur AEF). Et sur l’importance de “faire progresser l’agenda très opérationnel” sur la question.

AGENDA DE L’ACTION

Quelle présence des États-Unis à la COP 23 ?

Les États-Unis seront bien présents à Bonn pour suivre les négociations climatiques, malgré la décision du président Donald Trump annoncée en juin dernier de se retirer de l’accord de Paris. Selon une source française, la délégation devrait participer aux discussions “de manière constructive”. Pour Pierre Cannet, “focaliser la COP sur les Américains serait trompeur”, les acteurs des négociations “n’ont pas eu de warning sur le fait qu’ils veulent détruire l’accord de Paris”.

David Levai (Iddri) relève que les États-Unis “n’ont pas de chef, pas d’instruction particulière, ils ne sont jamais en mesure de trancher et adoptent une attitude consensuelle. Ils continuent de négocier”. Selon lui, des questions essentielles restent posées : Quand et comment les États-Unis veulent sortir de l’accord de Paris ? Et vont-ils vraiment en sortir ?

L’agenda de l’action sera également à l’ordre du jour de la COP 23. Initié à la COP 20 de Lima, consolidé à Paris lors de la COP 21 et à Marrakech avec la COP 22, cet agenda “est devenu un pilier des COP”, selon David Levai, directeur du programme climat à l’Iddri, dans un entretien avec AEF. Il aura ainsi droit à son segment de haut niveau, les 13 et 14 novembre.

Pour rappel : à la COP 22, la ministre marocaine Hakima El Haité et l’ambassadrice climat pour la France Laurence Tubiana, respectivement “championnes de haut niveau sur le climat” pour leurs deux pays, avaient officiellement lancé l’Agenda de l’action climat mondiale (Global Climate Action Agenda ou GCAA). Ce dispositif vise à encourager les initiatives et à catalyser l’action climat des acteurs non-étatiques (villes, régions, entreprises, secteur financier, coalitions et alliances, ONG, etc.). Le GCAA accorde ainsi une place officielle aux acteurs non-étatiques et à leurs initiatives dans le processus de la Ccnucc.

“À Marrakech, ces acteurs ont réagi immédiatement après l’élection de Donald Trump, ils ont ensuite fait bloc face à la décision américaine de quitter l’accord de Paris. Ces acteurs se sont positionnés comme les nouveaux leaders de l’action climatique, nous le voyons par exemple chez les maires de certaines grandes villes”, poursuit David Levai. À titre d’exemple : douze métropoles faisant partie du réseau des villes C40 ont annoncé le 23 octobre 2017 leur engagement contre la pollution de l’air et le réchauffement climatique (lire AEF).

Mais devant la diversité des actions et du nombre d’annonces faites par les acteurs non-étatiques, “il est maintenant nécessaire de faire le point”, ajoute David Levai. “Où en est-on ? Est-ce que l’action avance ? Ces prises de positions se déclinent-elles en actions ? Y a-t-il plus de fonds ? Plus d’acteurs ? Quelles sont leurs valeurs ajoutées réelles ? Par exemple, l’Alliance solaire lancée par l’Inde a-t-elle véritablement boosté l’industrie solaire ? Plus fondamentalement, est-ce que les bases d’une économie bas carbone sont posées ?” Autant de questions qui nécessitent un état des lieux selon l’expert.

C’est tout le propos de Ronan Dantec, sénateur EELV de Loire Atlantique et président de l’association Climate Chance, qui sera présent à la COP 23 pour se consacrer aux acteurs non-étatiques. Lors d’un déjeuner de présentation mardi 31 octobre 2017 consacré à l’issue de la seconde édition du sommet Climate Chance qui s’est tenu du 11 au 13 septembre 2017 à Agadir, au Maroc, (lire AEF), l’élu est revenu sur la création par son association d’un observatoire des acteurs non-étatiques engagés dans la lutte contre les changements climatiques. Son objectif est précisément de “recouper tout ce que l’on sait des dynamiques des acteurs non-étatiques et de leurs impacts en termes de réduction de GES”, détaille-t-il. “Nous voulons apporter une cohérence dans l’ensemble des actions des acteurs non-étatiques et en donner une vision plus précise.” C’est pourquoi l’observatoire publiera annuellement un “méta rapport”.

Le premier sera présenté en septembre 2018, à l’occasion d’un sommet international sur les acteurs non-étatiques et le climat organisé en Californie. “Le lancement de l’observatoire pourrait faire partie des annonces officielles pendant la conférence sur le climat à Paris le 12 décembre prochain”, indique le sénateur.

GÉOPOLITIQUE

Pour David Levai et Ronan Dantec, le meilleur exemple de l’impact de l’action des acteurs non-étatiques est l’initiative américaine “We are still in”. Pour rappel : jeudi 1er juin 2017, le président Donald Trump annonçait le retrait de Washington de l’accord de Paris, ratifié par l’administration Obama. Seulement 96 heures plus tard, 125 villes, 9 États, 902 entreprises et investisseurs, et 183 universités lançaient “We are still In”. Traduire : “Nous sommes toujours dans l’accord de Paris.” À ce jour, cette initiative représente plus de 2 584 villes, États et organisations publiques et privées, soit 40 % de la population, avec un poids qu’elle estime à 6 200 milliards de dollars dans l’économie américaine.

L’initiative entend assurer le leadership américain dans les négociations internationales sur le climat et remédier à l’absence de direction de la part de la Maison Blanche. Elle aura son propre pavillon avec un “US Climate Action Center” et une délégation américaine des leaders climatiques, au premier rang desquels le gouverneur de Californie Jerry Brown.

in http://www.aef.info/

Laissez un commentaire